
« Tu vas voir, c’est clivant. Il faut se laisser porter ». Un spectateur averti en vaut deux. La Médée de Lisaboa Houbrechts est annoncée comme une adaptation libre, les surprises ne font que commencer. Pour sa première collaboration avec la Comédie Française, l’étoile montante de la scène néerlandaise livre une version très personnelle de la tragédie grecque, qui voit symboles et images occuper une place prépondérante au détriment des émotions. Dans le rôle-titre Sephora Pondi brûle le plateau de sa présence incandescente. La troupe du Français se démène, crie beaucoup, s’escrime sur cette version étonnante aux transitions brutales.
Médée, répudiée par son mari Jason à qui elle a pourtant sacrifié sa famille, est folle de colère et cherche à se venger par tous les moyens…
La pièce est ouverte par un conteur hors pair, Bagary Sankaré, qui donne quelques mots du contexte et reviendra souvent invoquer le destin (« si seulement »). Un voile magnifique se lève sur Médée, guerrière sur laquelle est collé un cœur lumineux en plastique rouge. Le kitsch commence. Il continuera avec des costumes blancs étonnants pour les personnages secondaires, de vraies sculptures, puis des fils à linge où sont alignés des vêtements d’enfants pour évoquer la maternité. Les tableaux sont construits dans le détail, les couleurs vives et marquantes. Le symbolisme occupe tout l’espace et interroge le contexte, d’autant plus que les transitions sont assez brutales. Le casting est tout aussi stéréotypé : Médée l’étrangère rejetée est noire et physiquement différente, Jason est joué par une femme légère d’un autre calibre. Les enfants sont réduits à deux ballons noirs, objets inertes. Les comédiens essaient tant bien que mal de faire vivre ce dispositif qui interroge sans cesse au point d’enfermer les situations.
La colère de Médée est visible, palpable, énorme. La femme abandonnée est prête à tout pour se venger. Soit. Il y a peu de place pour les nuances, peu de place pour Jason, peu de place pour un vrai dialogue avec l’autre ou pour les contradictions internes. Les discussions du chœur et du Palais semblent plaquées, la mayonnaise prend difficilement. La performance de Sephora Pondi reste exceptionnelle, sa présence scénique est indéniable. C’est étrangement le travail de troupe qui fait défaut ici, le collectif ne se trouve pas.
Voilà une Médée étonnante, au point de laisser sans voix ma voisine de théâtre (« Je ne sais pas quoi en penser »). Si le test ultime est celui des émotions ressenties, alors cette Médée sonne curieusement vide au regard de l’immensité du drame présenté (tuer ses propres enfants).
Emmanuelle Picard
Photo C. Raynaud de Lage