« SUR LES OSSEMENTS DES MORTS » : UN FORMIDABLE THRILLER ECOLO

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Sur les ossements des morts – Simon Mc Burney – Théâtre de l’Odéon, Paris – a été joué du 7 au 18 juin 2023.

Avec ‘The Encounter’, Simon McBurney nous emmenait dans la forêt amazonienne. Cette nouvelle pièce, ‘Sur les ossements des morts’, est nichée dans la lande polonaise, un univers où la nature occupe une place prépondérante. Nature et écologie restent donc au cœur des préoccupations du célèbre metteur en scène britannique pour son adaptation du thriller écolo écrit par Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature polonaise. Avec une efficacité redoutable, Simon McBurney nous plonge dans le récit de Janina Doucheyko, ingénieure à la retraite perdue dans la montagne, qui lutte contre un environnement masculin violent de chasseurs invétérés. Le suspens est tenu de bout en bout, l’actrice qui remplace Kathryn Hunter au pied levé, Amanda Hadingue, relève le défi haut la main pour ces confidences au micro. Le monde de la forêt réel et rêvé s’installe sur le plateau et emporte l’imagination du spectateur. Une belle réussite.

Au Sud de la Pologne, à la frontière avec la République Tchèque, Janina Doucheyko, vit seule et recluse quand un vieil homme qu’elle surnomme Cocasse fait irruption chez elle pour lui annoncer la mort de leur voisin Bigfoot, chasseur cruel et peu regretté. C’est le premier d’une série de décès inexpliqués dans la communauté des chasseurs de la région.

Face aux spectateurs, un micro attend la narratrice, personnage principal du roman. L’histoire se veut public, un témoignage vivant, et démarre avec une salle éclairée. Le fond de scène sert d’écran pour des projections multiples, utilisées avec discrétion, dans la suggestion plutôt que dans une stricte représentation. La pénombre s’installe avec le mystère de l’histoire. Un groupe d’acteurs soutiennent le récit de l’héroïne principal au second plan. En survêtement violet et chemise verte, avec des cheveux gris mi-longs à peine ordonnés, Janina fait figure de hippie perdue en marge du monde civilisé. Ses confidences au micro mêlent sa vie quotidienne à sa vision du monde. Les images suggérées et enrichies par le groupe d’acteurs secondaires s’enchainent. L’ensemble frappe l’imagination, et le public se retrouve plongé dans l’épaisseur de la forêt polonaise avec ses animaux omniprésents, au cœur du mystère de morts violentes inexpliquées.

Si l’histoire tient du thriller, le thème essentiel reste la violence des hommes envers la nature, au cours de la chasse notamment. L’indifférence générale de la police marginalise encore plus Janina et les quelques rares amis qu’elle rassemble autour d’elle. Les chasseurs semblent ne connaître aucune limite, et être cruels tant à l’égard des animaux sauvages que domestiques. Petit à petit se développe l’idée d’une nature qui se venge d’avoir été ainsi persécutée.

L’auteur maîtrise parfaitement le rythme narratif. L’interprétation toute britannique de l’actrice y ajoute une touche d’humour qui arrache un sourire ici et là. Les rebondissements sont multiples, l’héroïne sort de sa vie d’ermite, s’entoure petit à petit, dérive vers la folie et se révèle un peu plus à chaque fois. Les rebondissements se succèdent, le doute s’installe, la surprise est totale.

Il faut saluer la remarquable performance de l’actrice principale, Amanda Hadingue, qui remplace une légende, Kathryn Hunter, dont la marginalité s’impose d’elle-même et dont la voix profonde aurait aussi fait merveille dans le rôle.

‘Sur les ossements des morts’ est un récit à nul autre pareil. Simon McBurney démontre une fois de plus sa maîtrise absolue de l’art de nous raconter une histoire et de nous faire voyager sans quitter notre siège.

Emmanuelle Picard

Photos Marc Brenner

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