
77e FESTIVAL D’AVIGNON. «Antigone in the Amazon» – Mise en scène par Milo Rau – l’Autre Scène, Vedène – Du 16 au 24 juillet à 21h30.
Pour tous ceux qui connaissent le travail du metteur en scène suisse Milo Rau, impossible de penser que le public avignonnais va assister à une Antigone à la mode Amazonie, ni même à une quelconque autre transposition. Et ce n’est pas un hasard si Milo Rau, en tant que fondateur du « International Institute of Political Murder », fait si bien s’entremêler l’histoire d’Antigone de Sophocle et celle des MST (Mouvement des sans-terres au Brésil) qui se battent contre la déforestation et se heurtent violemment à une d’extrême-droite n’hésitant pas à les traiter de terroristes.
Tout commence par deux massacres. D’abord celui de Polynice et Étéocle qui donnera le pouvoir à Créon et en parallèle celui des activistes des MST qui en 1996 sont massacrés par la police en manifestant pour que les terres leur soient rendues. Milo Rau ne joue pas Antigone mais l’intègre, l’assimile au combat des MST et plus généralement à toutes ces personnes dans le monde qui considèrent que nos politiques actuelles nous envoient dans un mur écologique et humain.
Sur scène le musicien Pablo Casella donnera et le ton et le tempo du spectacle tandis que Federico Araujo assure le rôle d’Aziel, l’une des victimes du massacre des MST, mais aussi celui d’Antigone. Sara De Bosschere et Arne de Tremerie assurent quant à eux tous les autres rôles, ceux « d’Antigone » mais aussi leur propre rôle, ceux de comédiens partis au Brésil pour monter ce spectacle dont les ramifications vont aller jusque dans leur cœur de citoyens du monde. Milo Rau brouille alors les pistes mais avec une lucidité déconcertante. Rien n’est laissé au hasard par le metteur en scène et la réalité prend doucement le pas sur le théâtre pour mieux faire la démonstration d’une nécessité de désobéissance civile qui devient alors limpide, mais tous les mythes ne sont-ils pas issus d’une histoire vraie ? Pas de tragédie sans chœur, incarné ici par les activistes des MST qui, au travers de la vidéo savamment imbriquée au jeu du plateau, donnent la cadence aux comédiens sur scène. Effet troublant qui rajoute à l’universalité du propos d’Antigone. Même la découverte au Brésil d’une vache morte au bord de la route par le metteur en scène permet une double lecture des rapaces et des chiens dévorant le corps du jeune prince.
Il est évident que même si Milo Rau voulait monter un « Antigone » plus classique, la rencontre avec les MST et ses convictions ne le permettrait plus. On ne retrouve donc pas la force du texte mais celle-ci devient par ses témoignages, cet entremêlement fiction-réalité, d’une force titanesque qui prend réellement aux tripes. Alors qu’ici ou là les lois jugées injustes sont de plus en plus remises en cause par un peuple soucieux de justice, comment être insensible au parti pris du metteur en scène de catapulter Sophocle au cœur de la lutte des MST.
Quoi de plus naturel pour nous et surtout pour tous ces peuples opprimés ? Une fois encore, Milo Rau démontre une maîtrise parfaite à ne pas seulement démontrer l’universalité de textes forts mais simplement à les montrer, sur scène, avec son art, ses comédiens et son indéniable talent. Un moment fort du Festival d’Avignon.
Pierre Salles
Photo C. Raynaud de Lage