
Festival d’été de Châteauvallon 2023 : Mozart – Requiem – Ballet équestre avec l’Académie équestre nationale du Domaine de Versailles, l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Toulon – Mise en scène et chorégraphie : Bartabas – Direction musicale : Nicolas Krüger.
Bartabas ! Un nom qui claque comme un coup de fouet, une figure de centaure légendaire qui rime avec liberté, qui évoque à la fois la noblesse et la sauvagerie de l’animal. Les festivaliers de longue date se souviennent de ses chevauchées sauvages dans les rues d’Avignon et des premiers spectacles de Zingaro, de son Cabaret équestre qui fut une révélation, puis de toutes ses créations dans son fief du Fort d’Aubervilliers qui firent le tour du Monde et dont certaines figurent parmi les plus belles pages du Festival d’Avignon.
Au fil du temps, l’Art si particulier de Bartabas, qui a souvent trouvé sa source auprès des cultures traditionnelles et des musiques du monde au travers d’une recherche sans cesse renouvelée, s’est affiné, s’est esthétisé, tout en ne perdant rien de sa force et de sa poésie, de ce constant respect de l’animal et de ce sentiment de liberté qui se dégage de ses spectacles.
C’est aujourd’hui à la tête de l’Académie équestre nationale du Domaine de Versailles qu’il crée ce ballet équestre en illustration du Requiem de Mozart, cette œuvre magistrale et sublime de fin de vie, inachevée, empreinte de gravité et de spiritualité mais chargée d’espérance. Une démarche artistique qui résonne avec la remarquable création de Romeo Castellucci qui a illustré ce même requiem au Festival d’Aix 2019 mais aussi avec « Calacas », spectacle de Bartabas – créé en 2011 – inspiré de la fête des morts mexicaine dans laquelle la mort est prétexte à célébrer la vie.
C’est dans le théâtre de plein air de Châteauvallon, d’une conception inspirée par les théâtres de la Grèce antique, adossé aux collines et ouvert sur la nature, véritable hommage à l’origine du théâtre, que Bartabas présente ce ballet équestre en collaboration avec l’Opéra de Toulon.
En prélude au Requiem, le spectacle commence par le miserere de Mozart, une œuvre a cappella de voix célestes qui évoquent parfois le chant grégorien. Et on retrouve tout de suite cette patte artistique unique de Bartabas. Au centre de la piste, une cavalière sur son cheval blanc décrit une lente rotation dans un sombre clair-obscur. Le thème de la mort est ainsi annoncé.
Puis les différentes parties du Requiem sont illustrées par huit chevaux blancs harnachés de noir montés par huit cavalières qui, telles des amazones font corps avec leur monture. Des cavalières aux longues robes noires et aux longues chevelures blondes qui flottent au vent ou parfois masquées par les hautes coiffes pointues des pénitents noirs dont la vocation est d’accompagner le salut des âmes et des corps. Chaque chorégraphie équestre est exécutée avec naturel, avec une recherche esthétique permanente et sans contrainte sur les chevaux qui semblent animés par la musique et par une liberté de mouvement qui confine toutefois à une harmonie d’ensemble.
Chaque chorégraphie est cohérente avec le thème musical et spirituel des différentes parties du Requiem. Lors de l’Introitus les chevaux semblent être surmontés de cadavres qui se redressent pour lever les bras vers le ciel dans un élan d’espérance. Le Dies irae, ce jour de colère divine si bien exprimée par Mozart, s’accompagne de chevaux au grand galop sur un fond de pinède rougeoyante.
Dans le Confutatis, l’élan du chœur exprimant le feu cruel destiné aux maudits est suivi de la partie la plus délicate et séraphique de l’œuvre, une supplication interprétée ici par un chœur de douze jeunes filles qui s’insèrent dans la chorégraphie équestre. Puis les cavalières se cambrent, levant leurs bras vers le ciel comme pour une renaissance dans l’au-delà. L’Agnus dei est illustré par trois chevaux blancs surmontés de squelettes d’anges, une image forte qui rappelle le spectacle « Calacas » de Bartabas et qui nous rappelle l’universalité de la mort.
La partie musicale est interprétée brillamment par le chœur de l’opéra de Toulon, qui constitue le corps principal de l’œuvre, accompagné par les quatre solistes et l’Orchestre de l’Opéra de Toulon dirigé par Nicolas Krüger. Un chœur disposé en surplomb en fond de scène et un orchestre situé sur une plate-forme côté jardin. Un dispositif spécifique à ce spectacle dont on peut regretter la prédominance du chœur par rapport à l’orchestre qui paraît un peu effacé, peut-être à cause du Mistral qui soufflait ce soir-là. Un Mistral qui a contribué toutefois à magnifier les images de ce ballet équestre au travers de ces chevelures, ces crinières et ces draperies flottant au gré du vent.
Bartabas nous offre cette fois encore des images fortes, d’une grande beauté, empreintes de spiritualité et de cette osmose inimitable entre l’humain et l’animal. Une véritable célébration de la force et de la noblesse équine au travers de cette complicité et cette confiance qu’il a su établir avec ses chevaux. Une illustration poétique en pleine cohérence avec ce que nous dit la musique de Mozart.
Jean-Louis Blanc