« QUE MA JOIE DEMEURE », UNE EXPERIENCE THEÂTRALE DE PLEIN AIR

RETOUR SUR LE MEILLEUR DU 77e FESTIVAL D’AVIGNON. Que ma joie demeure – Texte de Jean Giono – Adaptation de Romain de Becdelièvre et Clara Hédouin – Mise en scène : Clara Hédouin – Théâtre et marche à Barbentane les 17, 18, 19, 22, 23 et 24 juillet à 06h.

Il semble que le Festival d’Avignon cherche parfois à tester la motivation et la passion des festivaliers en les mettant au défi de participer à des spectacles hors normes nécessitant un engagement tant intellectuel que physique. On peut citer dans ce domaine la fabuleuse nuit du « Soulier de satin » de Vitez, la trilogie de Wajdi Mouawad ou le fascinant « Henry VI » de Thomas Jolly qui ne durait pas moins de 18 heures. Et chaque fois la passion est intacte, le public est là, prêt à s’enivrer de théâtre.

Cette fois c’est Clara Hédouin qui défie les festivaliers de faire une chose qu’ils détestent, à savoir se lever à 4 heures du matin. Et ils sont là ! ensommeillés mais enthousiastes pour prendre la navette sur le parking de l’île Piot, départ à cinq heures précises en direction de la Montagnette sur la commune de Barbentane. Au cours du trajet sont diffusés des commentaires d’agriculteurs de différentes régions qui évoquent leur vie, souvent leur mal-être mais toujours dans l’amour de leur métier.

Enfin nous voilà en pleine nature et après un café la marche commence. Clara Hédouin nous propose de théâtraliser le roman de Jean Giono « Que ma joie demeure ». Un roman bucolique et profondément humain qui nous fait revivre la vie de paysans du plateau de Grémone en Haute Provence au début du XXème siècle. Des paysans isolés qui peinent tristement sur leurs terres et dont la vie sera bouleversée par la rencontre entre Jourdan, un fermier du plateau, et Bobi, un acrobate itinérant venu d’on se sait où. Bobi leur apportera un message de joie et d’espérance, il leur apprendra à percevoir autrement la nature et leur environnement, à aimer les étoiles, les oiseaux, le cerf de la forêt, à comprendre l’intérêt de l’inutile comme cultiver des fleurs.

L’œuvre de Giono est décomposée en 10 actes appelés ici tableaux. La première séquence théâtrale se déroule aux premières lueurs de l’aube dans une petite clairière, c’est la rencontre entre Jourdan et Bobi et l’on sent que quelque chose va se passer. On s’assoit par terre dans l’herbe ou sur un petit trépied mis à disposition des spectateurs au départ de la randonnée. Et la magie opère, l’air embaume d’effluves de thym et d’origan, un coq chante au loin.

Puis apparaissent les rougeurs de l’aurore, l’air est tiède et le décor somptueux, les cigales se réveillent. S’ensuit une succession de marches et de tableaux au travers de pinèdes sauvages, de champs d’oliviers travaillés de manière ancestrale, de clairières et de friches, souvent dans une nature pratiquement intacte malgré les traces de l’incendie de l’été dernier que l’on croise parfois sur le parcours. Progressivement le soleil s’élève et la chaleur s’installe jusqu’à la scène finale, vers midi, dans un immense champ abandonné écrasé par le soleil où se déroule le drame.

La mise en scène de Clara Hédouin est remarquable de vérité et de réalisme. Les espaces de jeu des différents tableaux sont toujours cohérents avec l’action et permettent une mise en espace sans limites. Les acteurs apparaissent parfois au bout d’un champ et s’approchent lentement d’un pas lourd de paysan, courent au lointain, sortent d’un bosquet. D’autres scènes se déroulent en forêt dans des lieux plus intimes. On est immergé dans l’action et l’empathie avec ces paysans du plateau de Grémone est totale.

Les personnages de Giono sont interprétés par six excellents acteurs qui se fondent dans la nature, qui restituent toute la poésie du texte et la vérité de ces personnages profondément humains. Des acteurs imprégnés de leurs personnages qui se livrent avec passion à une véritable performance, parfois sous un soleil écrasant.

Ce spectacle se découvre donc progressivement, au fur et à mesure d’une randonnée de quelques kilomètres qui nous immerge en pleine nature. L’organisation et la chronologie sont parfaites et on ne voit pas le temps passer. A la fin du spectacle l’émotion est intense tant la mort de Bobi est décrite avec brutalité par Giono. On quitte ces personnages et ces lieux sauvages avec regret et le cœur lourd pour rejoindre vers 13 heures l’agitation de la ville et un Festival qui paraît tout à coup bien artificiel.

Clara Hédouin invente une forme de théâtre inspiré de la philosophie du vivant qui remet l’Homme à sa place dans la nature, qui ouvre tous les horizons et qui redonne une pleine liberté à l’acte théâtral. Une formidable expérience et un moment fort de ce festival.

Jean-Louis Blanc

Photo C. Raynaud de Lage

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