
RETOUR SUR LE MEILLEUR DU 77e FESTIVAL D’AVIGNON. « Marguerite : le feu » – Texte et mise en scène : Emilie Monnet – a été joué au Théâtre Benoît XII les 7, 8, 9, 10 et 11 juillet à 19h.
C’est au cours d’une visite guidée de la compagnie « L’Autre Montréal » qu’Emilie Monnet a découvert l’existence de Marguerite Duplessis, une esclave autochtone de la Nouvelle France au XVIIIème siècle. Une femme dont on sait peu de choses, tombée dans l’oubli, mais qui a joué un rôle fondamental dans la lutte contre l’esclavage en Amérique du Nord. Née d’un père français et d’une mère autochtone libre mais considérée comme « panis » – esclave autochtone – elle intente une action en justice en 1740 contre son maître Marc-Antoine Dormicourt qui veut la faire déporter en Martinique. Un procès pour faire d’elle un sujet, une femme libre alors qu’elle n’est considérée que comme un objet par la loi. Procès perdu d’avance, instruit par l’intendant du Roi Gilles Hocquart qui s’est révélé l’un des principaux esclavagistes de la Nouvelle-France.
Passionnée par cette histoire, Emilie Monnet est partie sur les traces de Marguerite au Québec et en Martinique où elle a été probablement déportée à l’issue du procès. Si cette quête s’est révélée vaine quant à la vie de Marguerite qui n’a plus laissé de traces et dont on ne connait en fait que quelques bribes, elle a permis de faire fondre la glace qui recouvre ce drame humain de l’esclavage, de réveiller un volcan endormi.
Bouleversée par cette histoire et fascinée par le personnage mystérieux de Marguerite, Emilie Monnet, elle-même d’origine anichinabée et française, nous offre un spectacle puissant qui mêle chants, danses, déclamations au cours duquel on découvre les fragments de la vie de Marguerite mais aussi la noirceur de cette domination esclavagiste qui réduit les individus au rang d’objets.
Cette performance multidisciplinaire est menée d’un seul trait, sans temps mort, comme stimulée par l’urgence de ce propos brûlant, par quatre interprètes, dont Emilie Monnet, revêtues de tenues indigènes colorées et stylisées du meilleur goût. En unique décor, un immense plan triangulaire en forme de proue de navire recueille des projections parfois abstraites mais qui évoquent aussi la mer ou qui révèlent des archives manuscrites du procès particulièrement émouvantes.
L’ensemble est porté par une bande son qui crée une tension permanente et qui évoque parfois les grondements telluriques d’un volcan qui se réveille. Cette image du volcan qui a pris un place importante dans la création du spectacle selon Emilie Monnet et dont « le feu est renouveau mais en même temps destruction ».
Nous découvrons ainsi par fragments, au travers du texte, des chants et des danses, la vie de Marguerite qui a osé défier l’ordre établi et qui a allumé un feu qui était loin de s’éteindre.
Nous retenons de ce spectacle poignant et prenant des moments très forts qui éveillent en nous des sentiments de tristesse, de colère ou de compassion. La longue litanie des noms de propriétaires esclavagistes de la Nouvelle France cite des noms bien français dont certains nous sont familiers, donne conscience de l’ampleur du phénomène et crée un malaise. Quand cela s’arrêtera-t-il ? Y a-t-il donc autant de criminels dans l’histoire des familles françaises ?
La danse endiablée d’une interprète, enroulée dans un immense châle rouge est une puissante évocation de ce feu allumé par Marguerite, de ce magma craché par le volcan qui va détruire le passé pour créer un nouveau monde.
Le spectacle se termine par un chant d’esclave ramené de Martinique et interprété par les quatre comédiennes. Un chant émouvant, chargé de douleur et d’espoir et admirablement mis en scène et en éclairages.
Emilie Monnet nous offre ainsi une performance collective d’une grande beauté formelle et chargée d’émotions, un feu jailli depuis près de trois siècles et un cri pour la justice.
Jean-Louis Blanc
Photo C. Raynaud de Lage