« EDUCATION NATIONALE », UNE PIECE D’ACTUALITE !

THEATRE - EDUCATION NATIONALE

Education Nationale – de François Hien – mise en scène Sigolène Pétey et François Hien – Au TNP Villeurbanne jusqu’au 19 janvier 2024.

Situation de l’éducation nationale en France : catastrophique. Les classes sont surchargées, il y a de moins en moins de professeur-euses, les contractuels qui rebouchent les trous sont sous-payés, le niveau baisse, les enfants sont tristes et restons-en là pour ce qui concerne le bref état des lieux qui fait office d’introduction. L’Harmonie Communale s’empare avec cette nouvelle pièce d’un sujet sensible, juste après la nouvelle réforme du bac de 2021, et lui rend absolument justice, en mêlant aux réflexions politiques sociologiques et philosophiques un nombre important de situations très concrètes traversées par les professeur-euses et les élèves : alors on retourne à l’école pour entendre tous ces bavardages.

L’action se déroule dans un lycée fictif, dans la banlieue d’une ville fictive de taille moyenne. Un nouveau directeur vient d’y être nommé, qui espère bien redorer le blason de l’établissement en faisant remonter la moyenne des résultats. Mais alors comment on fait-ça ? Comment transmet-on un savoir à des élèves “qui ne seront pas toujours dans de bonnes dispositions pour le recevoir” ? Pour répondre à ces questions, il faut en soulever beaucoup d’autres, ce que font les travailleur-euses de l’Éducation Nationale tout au long de la pièce, entre les couloirs, la salle des profs et les salles de classe. Est-ce que les groupes de niveaux ont encore du sens ? Comment créer une unité de classe alors que le bac se passe désormais à la carte ? Faut-il accepter les heures supplémentaires quand on est contractuel et en situation de précarité ? Si le spectacle laisse de nombreuses problématiques en suspens, il se montre aussi capable de trancher : et cela fait un bien fou de voir les plus belles idées de la gauche défendues avec autant de clarté, de précision et d’humour. J’étais ravie que les deux dames qui se moquaient derrière moi se prennent tant de morceaux de bravoure et de punchlines bien faites dans la face. On ne pourra plus reprocher à François Hien sa neutralité et pas plus que son dogmatisme. La pièce n’assène rien, ne démontre rien en préférant mettre le nez dans les endroits qui coincent, quitte à y perdre un peu de foi car souvent il manque aux belles idées de grandes armures ainsi que du temps, beaucoup de temps, afin d’être efficaces. Mais ne perdons pas espoir, les deux dames derrière moi n’étaient que deux face à moi.

L’intelligence, la pertinence et la précision des propos ne viennent pas de nulle part : pour écrire ce spectacle, l’Harmonie Communale s’est rendue dans des lycées, pendant plusieurs semaines, en observation. Par la suite, des ateliers ont été menés avec des élèves qui sont – et c’est une très belle particularité du spectacle – présents sur le plateau du TNP sans être de simples figurant-es. Au cours d’une scène très touchante, une prof leur propose un débat mouvant : les élèves doivent répondre par oui ou par non en se plaçant à droite ou à gauche. Leur demander s’iels ont leur propre chambre permet ainsi une brève réflexion sur la notion de déterminisme social, et cela est très rassurant de voir que rares sont ceux-celles qui croient encore en la méritocratie. Le public est lui aussi intégré au spectacle, d’une autre façon, d’abord en tant que parents d’élèves lors du discours d’accueil du nouveau directeur puis comme citoyen-nes (voire même grévistes) au cours de l’occupation du lycée qui vient clore la pièce.

Traverser ces trois heures de théâtre se fait sans aucune embûche : les décors ont des couleurs de peinture fraîche, ils bougent, c’est grand, il y a de la musique (parfois un peu trop) les comédien-nes sont excellent-es (même si on retrouve dans leur jeu une signature commune, bien reconnaissable, dans cette façon d’adresser et d’articuler la parole pour la rendre audible au plus grand nombre, ce qui est sans doute intentionnel) les changements d’espace et de temporalité se font avec fluidité, le texte est superbe d’intelligence et d’honnêteté (mais on l’a déjà dit) certains personnages sont drôles, théâtraux (notamment le directeur, complètement déconnecté, avec sa manie d’offrir des chocolats) d’autres touchent carrément au sublime (comme cette prof agressée par son élève qui le défend tout de même avec brio mais sans succès en conseil de discipline) mais tous sont surprenants et intéressants.

Le spectacle avance ainsi tout en nuances, en nous dévoilant peu à peu les coutures des costumes et les marges des cahiers si bien que des personnages qui pouvaient sembler antipathiques au début se montrent finalement pleins de complexité. Parvenir à une sorte de “suspension du jugement” du public (pour reprendre les termes de Kundera) est une merveilleuse finalité pour une œuvre. Et ici, justement, on suspend : en apprenant à se taire, à attendre et à écouter, comme le fait cette AED face à un élève menacé d’expulsion, sans excès de pitié ou de colère. Un ami m’a dit en sortant du spectacle : “pour moi il manquait la figure du prof méchant. Quand j’étais collège il y avait vraiment des profs méchants.” Il a eu un temps de réflexion et puis il a ajouté: “Ou alors c’est moi qui l’ai perçu comme ça. Parce que j’étais le nez dedans.” Et je me suis dit et donc j’ajoute encore : peut-être que le méchant prof était sur scène et qu’on ne l’a juste pas remarqué parce qu’on l’a surpris depuis nos fauteuils en dehors de sa salle de classe, l’oeil aigri ou désemparé et qu’on a inconsciemment opéré, pour rendre justice à sa complexité et garder le regard ouvert et mobile, une suspension de notre jugement. Il faudrait arriver à faire ça partout, sans l’appui des accoudoir de théâtre : chercher derrière les gens (sauf chez les vrais méchants) où se cache l’élève qui continue d’apprendre et de se tromper, mauvais par honte ou faible par amour. L’école ne finit jamais.

Célia Jaillet

Photo Juliette Pariso

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