« CECI N’EST PAS UN RÊVE » : VOYAGE AU FEMININ

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« Ceci n’est pas un rêve », mise en scène de Christine Delmotte-Weber – à la Comédie Royale Claude Volter, avenue des Frères Legrain, 98 à 1150 Woluwe-Saint-Pierre (Bruxelles), jusqu’au 4 février 2024.

« Chambre noire du rêve », entre réel et imaginaire.

Dès les premiers instants, le public est en immersion totale dans le monde des songes, celui de la jeune photographe contemporaine, Alice (interprétée par l’excellente et lumineuse Stéphanie Blanchoud*). Travaillant pour une revue mensuelle qui traite de différents sujets de l’actualité, la journaliste s’interroge sur l’utilité de son travail. Un « conflit intérieur » va l’amener à « s’apaiser » et à fuir la réalité en plongeant complètement dans son imaginaire. Elle va transporter les spectateurs (à qui elle s’adresse parfois) dans un univers bien à elle, à travers ses photographies (transformées en tableaux) et ses rêves. « La chambre noire » de ses voyages par le biais de la psyché va nous faire traverser le temps vers une autre époque, celle de deux artistes féministes du mouvement des années 1930, Leonora Carrington (jouée par l’espagnole Ana Rodriguez) et Leonor Fini (par Stéphanie Van Vyve), toutes deux artistes peintres et romancières. La photographe-reporter leur voue une réelle passion. Attirée irrésistiblement dans leur cercle surréaliste, Alice se sent proche d’elles, et découvre petit à petit leur histoire en se laissant emporter dans l’espace-temps – 1939, juste avant la Deuxième Guerre mondiale-. Alice assiste, comme si elle y était, aux échanges des deux femmes dans une maison à Saint-Martin-d ’Ardèche, refuge de Leonora Carrington et de l’artiste Max Ernst (ressortissant allemand), rejoints par leur amie Leonor Fini, entre autres.

Relations ambigües, jalousie, dispute, sensualité, poésie, art et onirisme et leur correspondance (lorsque l’une se réfugie en Espagne et Max est enfermé dans un camp) vont transporter le public dans cette époque de conflits et d’injustices dus à la guerre, d’amour de l’art, mais pas seulement puisqu’à travers ces femmes, peintres à l’incontestable talent, se glisse l’ombre de l’inégalité. En effet, l’histoire de l’art, « écrite par des hommes », a très souvent « gommé » les femmes artistes, en les réduisant au rôle de « muses ou d’égéries », oubliant, par-là, « de les prendre au sérieux dans leur création artistique ».

(Je ne peux m’empêcher ici, de penser et de faire référence à ces artistes femmes espagnoles, des années 1920 et 1930, tels que Federica Monsé, Rosalia Castro, Clara Campoamor, Margareta Ferreras, Lucia Sanchez, etc. Journalistes, poétesses, artistes, militantes et activistes, dites « las olvidadas » (les oubliées), dont les œuvres méritent (sans aucun doute) le détour, et qui, encore aujourd’hui, son méconnues par la majorité de tout un chacun, et, comme elles, tant d’autres en Europe et ailleurs dans le monde).

Scéno et mise en scène : Avec un décor épuré, bluffant, où le jeu des lumières (*) et la musique (*) contribuent à la mise en avant du rêve, créant une atmosphère qui permet au public d’entrer dans la tête d’Alice, Christine Delmotte-Weber ravit avec sa mise en scène. S’intéressant au surréalisme, elle découvre « par hasard », l’histoire de la rencontre de ces deux artistes, Leonora et Leonor, et décide de « réinventer une nouvelle relation entre elles, à partir d’éléments de la réalité de l’époque », raconte Christine. Elle imagine leur lutte « pour exister au milieu du mouvement surréaliste » ce qu’elles réussissent à faire au-delà des « condescendance et l’agressivité de certains de leur pairs », précise encore la metteuse en scène, tout en mettant l’accent sur cette époque tragique qu’est la Deuxième Guerre mondiale. Et pour se faire, entre faits réels et imagination, Delmotte-Weber va réunir sur scène un judicieux casting composé de trois comédiennes très investies et motivées dans le projet, leur laissant par là-même, se sentir « libre de prendre toute leur place » dans l’élaboration du spectacle.

Depuis quelque temps, « faire naître un nouvel imaginaire autour des personnages féminins historiques » est ce à quoi se consacre Christine Delmotte-Weber, à travers l’écriture. Et l’on peut dire qu’elle y réussit haut la main. Un travail que l’on ne peut qu’apprécier et encourager. En racontant l’histoire de ces deux femmes à travers la scène, la metteuse en scène met en lumière, « dévoile » ces figures féminines qui, « pour des raisons historiques, n’ont pas été mises en valeur » leur rendant, ainsi, hommage. Pari réussi !

« CECI N’EST PAS UN RÊVE » à découvrir jusqu’au 4 février 2024 (et certainement où il se jouera à nouveau) au magnifique lieu qu’est la Comédie Royale Claude Volter à Bruxelles.

Un petit mot sur ce lieu qui mérite qu’on s’y intéresse de près. Accueillie en 1971 par la Commune de Woluwe-Saint-Pierre, la Comédie Royale Claude Volter fut créée en a.s.b.l. par Claude Volter, lui-même, et Michel de Warzée, l’actuel directeur depuis janvier 2003 et dont la gestion lui avait déjà été confiée dès 1997. Avec ces deux salles, la programmation tient aussi bien de « Grands classiques du répertoire que des comédies et des pièces contemporaines, incluant de grands noms du théâtre belge, tout en ouvrant les portes aux jeunes créateurs », contribuant ainsi à une large diversité artistique digne d’intérêt. Alors ? On y va ?

Julia Garlito Y Romo

(*) Distribution : Comédiennes : Stéphanie Blanchoud (actrice et auteure-compositrice-interprète belgo-suisse – souvenez-vous de la série « Ennemi Public » entre autres), Ana Rodríguez (actrice, chanteuse et danseuse d’origine espagnole) et Stéphanie Van Vyve (comédienne et enseignante belge); mise en scène: Christine Delmotte-Weber (autrice, metteuse en scène et réalisatrice belge); assistanat général: Margaux Frichet; scénographie et costumes: Renata Gorka; lumières: Benoît Théron; création son: Éric Ronsse; confection et costumes: Denise Castermans; accessoires: Hedwig Snoeckx; photos et vidéos: Alice Piemme; caméraman & montage: Rafael Serenellini; voix off: Fabrice Rodriguez; régie générale: Hugues Vanelslander; habillage : Alice Chartier. Un spectacle de la compagnie BILOXI 48.

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