« LE MOMENT PSYCHOLOGIQUE » : UN COMIQUE DE L’ABSURDE AU GOÛT D’INACHEVÉ

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Le moment psychologique – Alain Françon – La Scala Paris – du 6 au 11 février 2024. 

Le jeune auteur Nicolas Doutey s’est vu récompensé par l’Académie Française du Prix du Jeune Théâtre Béatrix Dussane-André roussin pour l’ensemble de ses œuvres dramatiques. La mise en scène de sa pièce Le moment psychologique par Alain Françon, metteur en scène français renommé s’il en est, est une consécration supplémentaire avec une belle distribution dont Dominique Valadié. « Un moment de théâtre drôle, utopique, revigorant ! » nous promet La Scala Paris. Soit. L’absurdité des organisations, des réunions, des objectifs inarticulés voire inexistants, de tous ceux qui se donnent de l’importance en maintenant un flou artistique autour de leurs activités est bien présente dans les situations proposées. Certaines scènes arrachent des sourires. La pièce semble cependant s’être arrêtée à mi-chemin et s’égarer sur des chemins de traverses : la réalité du monde actuel est pire, il y a matière à plus de rythme, plus d’absurde avec un ciblage précis. Le moment psychologique reste une ébauche à affiner.

Paul a rendez-vous avec Pierre, sans savoir qu’il a aussi rendez-vous avec Mat, laquelle va bientôt arriver précédée de sa secrétaire. Il sera question de projet d’envergure et de contribution décisive.

Un cercle de bancs arrondis structure l’espace, les comédiens sont présents en permanence, et attendent leur tour pour intervenir. Décor minimaliste, pas de bureaux, juste un dispositif collectif et des personnages en habits contemporains. La première scène semble directement sortie de Beckett ou de Ionesco. Deux personnages lambda, qui n’ont pas grand-chose à se dire, commentent leur début de rendez-vous. La pensée intérieure se fait extérieure, ce qui n’est d’habitude pas dit devient là explicite. Chacun commente cette rencontre et son absence manifeste d’objet. Passé la première surprise, la banalité des propos devient lassante, la conversation avec la bouilloire à peine drôle. C’est poussif, laborieux.

Arrive la secrétaire, fringante et mordante, qui redonne du piment à l’ensemble surtout quand elle attaque « l’inefficacité des services » et amène la perspective des organisations. L’absurdité des comportements professionnels pointe : meetings non cadrés, horaires flottants, responsabilités diffuses. L’arrivée de Mat, femme politique imposante campée par Dominique Valadié, monte les enjeux d’un cran. La novlangue, le flou artistique des propositions est fascinant et sonne souvent juste. Il est étonnant de voir la puissante Mat choisir Paul pour ce qu’il est, sans arrière-pensée semble-t-il. Même Paul en vient à douter de ce qu’il entend, laissant esquisser un brin de normalité. Les échanges se multiplient sans qu’aucun sujet ne soit vraiment abordé, la menace d’une réunion plane, même si son efficacité est d’emblée condamnée. Certains traits font sourire. Il y aurait tellement à dire encore sur les organisations aujourd’hui, sur l’apparence, le faux présent et la fuite en avant, que la pièce laisse un goût d’inachevé, une dimension d’esquisse que même la très belle performance de Dominique Valadié ne peut compenser. Dommage.

Emmanuelle Picard

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