« PASSEPORT », UNE HISTOIRE SANS FRONTIERES

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Passeport –  Alexis Michalik – Théâtre de la Renaissance Paris –  Actuellement à l’affiche.

Voilà plus de dix ans qu’Alexis Michalik tient la tête du box-office théâtral en France. Depuis Le porteur d’histoire, le dramaturge et metteur en scène enchaine les succès auprès d’un large public. Son « Edmond » a même été porté au cinéma. C’est peu dire que sa nouvelle création, Passeport, était attendue. Les dieux du théâtre allaient il être au rendez-vous ? Au bout d’une heure trente de spectacle, les applaudissements retentissent et ne s’arrêtent plus, le public est transporté, la magie Michalik est bien là. Le point de départ était pourtant délicat : la « jungle » de Calais, le droit de séjour, le racisme ordinaire. Alexis Michalik est un conteur hors pair : il donne vie à une galerie de personnages en maintenant un rythme d’enfer. L’intrigue tient en haleine de bout en bout, le sujet est ultra documenté, l’humour s’invite aussi. La maîtrise est totale, tout passe. Un nouveau triomphe commercial s’annonce !

Dans la « jungle » de Calais, un homme se réveille après une bagarre. Il a perdu la mémoire, mais le passeport dans sa poche indique qu’il s’appelle Issa et vient d’Erythrée. Comment s’intégrer dans un nouveau pays quand on a perdu toute trace de son passé ? Deux autres migrants l’accompagnent dans son périple.

Ils sont sept sur scène, de toutes origines, à se répartir les rôles en fonction des situations. Les décors sont sobres et suffisamment mobiles pour que les séquences s’enchainent avec fluidité. La « jungle », le bar, la maison, les centres d’accueil, le resto, la bibliothèque… Tout est dans le rythme, dans l’art de la narration. Les ellipses temporelles tiennent le suspens. Le porteur d’histoire était construit sur le même principe. Cette fluidité narrative hors pair vient sans doute du fait que mise en scène et écriture ne font qu’un chez Alexis Michalik. Le dénouement surprend tout le monde, et pourtant il coule de source…

Une fois plongé dans l’univers de l’immigration, Alexis Michalik va jusqu’au bout du moindre détail : son descriptif des procédures administratives et des CAOs, les Centres d’Accueil et d’Orientation, perdus au fin fond de la province sont d’une précision redoutable. L’importance du « Grand Oral », où le demandeur d’asile doit expliquer son cas, et convaincre par la force de son récit, est véridique, la situation du réfugié amnésique encore plus dramatique. Le point de vue raciste ou xénophobe est aussi présenté avec le père de Lucas, dans toutes ses contradictions et sans caricature.

Compte tenu du thème, la pièce pourrait être pesante. L’humour, le recul par rapport à soi-même allègent constamment les situations les plus difficiles. Shakespeare s’invite par les citations distillées par un professeur afghan de lettres classiques, Arun fait le clown dans la cuisine, les tentatives d’anglais des bénévoles font sourire… Le « feel good » de la pièce va jusqu’à son dénouement. La « vraie vie » est rarement aussi clémente avec les demandeurs d’asile. Qu’importe, le propos n’est pas là, il s’agit d’une fiction divertissante, pas d’un documentaire.

Passeport vient donc rejoindre la collection des succès d’Alexis Michalik, après Le porteur d’histoire, Le cercle des Illusionnistes, Edmond, Intra-Muros et Une histoire d’amour. La variété des sujets abordés est fascinante, tout comme l’adhésion immédiate d’un large public.

Emmanuelle Picard

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