« LE SILENCE » : LA DOULEUR D’UN COUPLE SANS PAROLE

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Le Silence – D’après Antonioni – mes Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix – Théâtre du Vieux-Colombier Paris- Jusqu’au 10 mars 2024.

Une mystérieuse plongée dans la douleur infinie d’un couple

« C’était quand même très très spécial… », commente ma voisine en sortant, perplexe. La proposition de départ est pourtant fidèle à la promesse du titre. Le silence est une pièce quasiment sans paroles. La note d’intention va jusqu’à faire référence à l’univers du cinéaste Antonioni, à ses « drames paysagers » où le dialogue s’absente pour laisser la place aux corps et à l’espace. Indépendamment du cadre intellectuel dont se revendique la pièce, Le silence est une expérience saisissante qui oblige le spectateur à reconstituer activement l’intrigue. Le public plonge dans l’intimité d’un couple que la douleur éloigne l’un de l’autre. Marina Hands et Noam Morgensztern sont bouleversants, tout en sensations intérieures. Une expérience singulière à s’offrir sans a priori.

Le Silence demande une écoute active : l’histoire se construit petit à petit, le spectateur glane des éléments ici et là pour imaginer une identité, un passé à chacun des cinq personnages. En dévoiler plus gâcherait le plaisir de la découverte…

Au centre d’un dispositif bi-frontal trône un salon-salle à manger moderne, un intérieur cossu. Un écran au-dessus de la scène accueille des images en noir et blanc reflétant l’état d’esprit de chacun. Marina Hands attend le public, égarée, fatiguée, troublée. Un autre personnage hante la pièce, constamment présent, et regarde le public. L’histoire est lancée, sans un mot, au spectateur de deviner ce qui s’y passe. Les acteurs sont incroyablement expressifs : visages, gestes, regards portés ou évités. L’absence de mots n’implique pas l’absence d’action, ni l’ennui, bien au contraire. Elle oblige le spectateur à une attention accrue, à une recherche d’indices pour comprendre. Les images projetées sont une annexe libre, plus ou moins parlante, jamais intrusive. Le Silence est un espace à part où l’imagination a libre cours, à partir des propositions tout en relief des acteurs.

Qu’il est douloureux de voir ce couple s’enfermer chacun dans sa douleur ! Ce qui les lie est un fantôme. Toute tentative de rapprochement de Marina est aussitôt rembarrée par Noam, qui n’arrive pas à s’extraire de sa propre douleur et peine à être touché par le monde extérieur. Marina sombre dans les excès, cherche à se faire remarquer, souffre jusqu’à une danse finale cathartique pour expulser sa douleur. Chaque interprétation de la pièce est sans doute très personnelle.

Les deux auteurs, Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan, ont écrit des textes à destination des acteurs pour décrire leurs actions, leurs environnements, sans jamais utiliser la première personne. L’immense talent des comédiens du Français se retrouve dans leur expressivité, leur manière de jouer une situation, sans mot, sans mime non plus. Le Silence  se mérite, il offre une expérience de narration unique et infiniment sensorielle.

Emmanuelle Picard

Photo C. Raynaud de Lage

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