
Concerto contre Piano et Orchestre – Samuel Achache – Théâtre de l’Athénée Paris – du 22 au 29 mars 2024.
Samuel Achache n’en est pas à son premier fait d’armes : il a déjà revisité plusieurs opéras (Le crocodile trompeur à partir de Didon et Enée), croisé musique et théâtre dans un joyeux fracas pour Sans Tambour à Avignon. Que faire alors à partir d’un concerto de Carl Philipp Emanuel Bach ? Avec les musiciens de l’Orchestre La Sourde, Samuel Achache joue avec les points de vue. Partant et revenant souvent à la partition de départ, il change l’organisation de l’orchestre, se focalise sur un musicien puis sur un autre, diverge jusqu’au jazz. Concerto contre piano et orchestre est un voyage osé et plein d’humour, un concert où le plateau est sans cesse en mouvement, peu orthodoxe mais tellement rafraichissant !
Scène de concert, avec chaises et tenues de circonstance pour les musiciens. L’éclairage incliné change de couleur et accompagne les digressions. Un artiste vient faire un préambule d’anthologie. Dans son monologue, il interroge la dynamique de l’orchestre et pose les questions clés : Qui dirige ? La soliste, le directeur de la salle, le programmateur, les institutions culturelles… ? Pourquoi un musicien jouerait-il dans une production dont il ne partage pas l’esthétique ? Quel est le lien avec le compositeur ? A quoi bon demander aux artistes d’être force de proposition pour finalement ne pas en tenir compte ? C’est drôle, fin, incroyablement pertinent, une introduction parfaite à tout ce qui va suivre.
Même si les apparences sont celles d’un concert classique, avec pantalons noirs, cravates et pince à cravates, quelque chose ne colle pas. Le piano est caché derrière une petite porte. Puis un énergumène vient installer sa batterie en premier plan. Ces changements de perspective sont constants, les musiciens bougent beaucoup : cordes d’un côté puis d’un autre, piano au centre puis sur le côté, pleins feux sur la batterie avant de la mettre à part. Chaque mouvement amène une focalisation différente et permet d’explorer les relations au sein de l’orchestre. La multitude de configurations révèle les facettes de la micro-société du groupe.
La partition suit plus ou moins son cours. Arrive un moment où les libertés prises sont de plus en plus grandes, menées à chaque fois par un musicien particulier, jusqu’à basculer dans le jazz quand la pianiste perd ses moyens. Les variations les plus folles s’enchainent et n’excluent pas quelques dissonances. Cette irrévérence libère. Les musiciens deviennent des acteurs, le spectacle est partout, complet. Les puristes classiques ne s’y retrouveront peut-être pas, mais les spectateurs amateurs sont eux sur le qui-vive, profitant de la musique comme de l’action sur la scène, libres d’imaginer ce que bon leur semble.
Emmanuel Picard
Photo Joseph Banderet