« IPHIGENIE À SPLOTT » : TOUCHE(E)S EN PLEIN COEUR

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IPHIGÉNIE À SPLOTT – Texte du Gallois Gary Owen –  mise en scène Georges Lini avec Gwendoline Gauthier – à l’Espace Toots à Evere (Bruxelles), le 15/03/2024 (*) (1h30 de spectacle) (Le 19/04/2024 à l’Espace Culturel « Barbara-Petite-Forêt et le 20/04/2024 au Centre Culturel de Braine-L’Alleud).

Tragique, intense, bouleversant.

« Vous là. Calés dans vos sièges, tranquilles, à attendre que -quoi ? Que je vous impressionne ? (…) Que je vous montre ce que j’ai dans le bide ? (…) « Mais vous savez quoi ? ce soir, vous êtes tous là pour me rendre grâce. À moi ! ».

Non. On ne s’y attend pas. Le propos de Effie (Gwendoline Gauthier) est brutal. Ce soir, elle est rebelle, paumée. « Iphigénie à Splott » est un spectacle coup de poing qui dénonce avec rage, sauvagerie, agressivité, la fin du service public, la maternité, les traitements médicaux désastreux pour les personnes en situation précaire. Une Iphigénie christique en rébellion ouverte contre le patriarcat. On est touché par ses émotions et sa tendresse, son histoire, sa vie, ses beuveries, ses luttes, ses déboires. Prête à se sacrifier pour celles et ceux qui, comme elle, non quasiment plus rien à perdre… Grinçant, Bouleversant. On y croit vraiment !

 Dans une ambiance tamisée, un décor sobre, entourée d’instruments et d’un fauteuil de cuir rouge, Effie nous apparaît, dans son jogging flashis, défiant le public du regard, le prenant à partie, sans détours, débitant d’un coup sa rage, sa haine, son dégoût, sa vie, ses amours, ses envies, ses désirs -semblant inaccessibles-, les injustices qui l’entourent et l’affectent dans sa vie de tous les jours. Les spectateurs sont captivés, émus par son drame.  L’humour est grinçant.

 À Splott (un quartier de Cardiff, capitale du Pays de Galles), la misère est partout avec son corollaire : alcool, drogue, violence. Effie n’est pas épargnée.  Entre sa relation bancale avec Kevin un « con », ringard, et lourdaud, et sa colocataire consommant tout et n’importe quoi, elle tente de trouver un sens à la vie. Contre toute attente, un soir, dans un bar, son regard va se porter sur un homme, parmi son groupe d’amis. Elle le veut. Il lui appartient. Celui-là ne lui échappera pas. Elle y met tout son talent de séduction. L’illusion d’un amour va la prendre au dépourvu (Achille ?).

 Oubliée la solitude qui la ronge au quotidien. Ce soir, cette nuit, elle ne se sent plus seule. Pas même dans les quartiers miséreux et glauques de Splott au sortir de l’appartement, ou sur la plage désertée, encombrée de déchets plongée dans l’obscurité. Une flamme, peut-être, s’est animée en elle. Et lui ? Un ancien soldat, va-t-il la rappeler ?

Le texte fort de Gary Owen et la mise en scène judicieuse de Georges Lini

Le texte d’Owen, intelligent, politique, social, met l’accent sur les méfaits du libéralisme ambiant, désormais sans limites. Il le fait sans mettre de gants, cru, direct, avec le langage de la rue, perçant le mental et le cœur de tout un chacun. N’avons-nous jamais détourné le regard, jugé une Effie à sa seule allure, à sa rage crachée au visage ? Avons-nous seulement essayé de comprendre au lieu d’éviter de la croiser, voire de la côtoyer ? Dans une société ou le nombrilisme devient le drapeau de nos vies ; où le chacun pour soi reflète notre regard sur la société ; où malgré les luttes féministes, le patriarcat, fourbe, (aux multiples facettes) reste de mise : l’Iphigénie de la mythologie n’a-t-elle pas traversé les siècles jusqu’à notre monde contemporain sans que rien… ne change vraiment ? Quel lien relie Effie de Cardiff à la jeune grecque Iphigénie, fille d’Agamemnon ? Sans doute le découvrirez-vous en posant votre regard, en écoutant la jeune fille jusqu’à la fin à travers la géniale mise en scène de Georges Lini. Lini qui, cette fois-ci, laisse au spectateur le soin de comprendre par lui-même le lien entre l’ancien et le nouveau. Il ne veut pas « en faire trop », mais juste « transmettre et raconter l’histoire ». « Coup de foudre comme rarement il en a eu », confie le metteur en scène au Poche (producteur de la pièce), pour ce texte de Gary Owen. Une « écriture anglo-saxonne qu’il adore, avec cette façon particulière de parler de la réalité ». Une réalité que l’artiste mettra en évidence dans la mise en scène de ce spectacle poignant.

Particulièrement sensible aux problématiques sociales, Prix Meyer-Whitworth 2023, nominé aux TMA Awards 2010 et « classé en 2015 le 28ème meilleur spectacle depuis 2000 pour Iphigénie à Splott », Gary Owen, (pour qui Splott n’a pas de secrets), dramaturge et scénariste gallois contemporain, s’inspire de la mythologie en créant une Iphigénie contemporaine à travers Effie. Loin de sombrer dans le mélodrame, l’histoire raconte la dure réalité de Splott, dont les reflets vont bien au-delà d’une unique frontière. La Belgique, la France, l’Italie, l’Espagne, la Grèce… quel est le pays qui ne compte pas en son sein d’innombrables villes, villages, hameaux où l’injustice sociale étale sa toile de misère, creusant les inégalités ?

Les trois musiciens (multi-instrumentalistes) qui accompagnent la comédienne sur scène : Pierre Constant, Julien Lemonnier et François Sauveur, semblent être liés à Effie par un fil invisible. Ils boivent ses mots à travers le regard qu’ils lui prêtent. Ils nous transportent aux sons du violon, de la guitare électrique ou encore, du synthétiseur. Ils nous prennent aux tripes et entreprennent de nous inclure dans l’histoire de l’héroïne de ce conte d’aujourd’hui aux accents de dure réalité, comme si nous y étions, vivant le drame jusque dans nos trippes. Le sacrifice d’Iphigénie touche violemment, en plein cœur ! Effie : « Mais vous là, chacun d’entre vous. Vous me devez quelque chose. Et ce soir -les mecs et les meufs, mesdames et messieurs, je suis venue pour ramasser ».

Le saviez-vous ? Si l’on en croit les statistiques « Splott fait partie des 10 petites villes les plus dangereuses. En 2023 on y comptait 99 crimes pour 1000 habitants. Elle se classe 209ème petite ville la plus dangereuse de l’ensemble de l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord ». C’est vous dire l’intérêt que la comédienne a porté à son personnage, si l’on sait que pour interpréter au mieux la jeune femme paumée, Gwendoline Gauthier va jusqu’à se rendre à Splott ! Elle s’imprègne de ce lieu aux usines désaffectées, où la misère, au sens propre du mot, règne au-delà des ruelles. Et, il va s’en dire, le public le ressent à travers son excellente interprétation d’Effie. « L’histoire banale d’une fille défavorisée qui tente de survivre », Iphigénie à Splott, à découvrir sans tarder là où la pièce se jouera à nouveau (*). J’y vais et j’y retourne !

Julia Garlito Y Romo

(*) Le 19/04/2024 à l’Espace Culturel « Barbara-Petite-Forêt et le 20/04/2024 au Centre Culturel de Braine-L’Alleud)

Traduction Blandine Pélissier et Kelly Rivière – Mise en scène Georges Lini – Avec Gwendoline Gauthier – Collaboration artistique Sébastien Fernandez – Direction musicale François Sauveur – Musiciens Pierre Constant, Julien Lemonnier et François Sauveur – Création lumières Jérôme Dejean – Costumes Charly Kleinermann et Thibaut De Coster. Une coproduction du Théâtre de Poche et de la Cie Belle de Nuit. Texte traduit avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, Centre international de la Traduction théâtrale. L’auteur est représenté par MCR Agence Littéraire.

Photo Debby Termonia

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