FESTIVAL D’AVIGNON 2024 : COMME UN (BON) AIR DE RETOUR A L’AVANT PY

78e FESTIVAL D’AVIGNON. AVANT-PROGRAMME. 29 JUIN-21 JUILLET 2024.

Pour cette 78e édition, Tiago Rodrigues signe une programmation audacieuse mais équilibrée, avec un petit air de come-back de la période glorieuse du Festival , celle de Baudriller et Archambault, en offrant l’écrin de la Cour à la plus perchée des performeuses du Théâtre, Angélica Liddell.

Ouah ! Il fallait l’oser. Vincent et Hortense ne l’auraient jamais rêvé, tant la sulfureuse Angélica, la première fois qu’elle mit les pieds ici au Festival à leur propre invitation en 2010, avait chamboulé toute leur saison : voilà alors qu’on ne parlait plus que d’elle, cette sauvageonne, cette performeuse hors-norme, cet ovni, cette hérétique (de tout : de la morale, des religions, de la sexualité, de la « normalité », de la maternité, et bien sûr du théâtre même), cette extraordinaire artiste si si : si superlative, si extravagante, si perchée, qu’elle remua les festivaliers de fond en comble -jusqu’aux boyaux- et que l’on ne parlait plus que d’elle, ici, sur la place du Palais, aux terrasses des cafés branchouilles comme dans les queues du Festival. Une scandaleuse, une sorcière, une déferlante, une apocalypse…

Vincent et Hortense, malgré tout leur amour pour Angélica, toute leur passion et leur courage, n’auraient jamais osé lui proposer l’ouverture du Festival, dans la Cour s’il vous plaît, tant la Diva noire d’Avignon sentait le soufre et le stupre, le sang et les larmes… Et pourtant ils l’aimaient, eux, vraiment, sincèrement. Pas comme le très pudibond et très conservateur Olivier Py qui bien sûr se cru à un moment obligé de l’inviter malgré tout, en dépit de son dégoût pour la bête immonde -comment éviter la volcanique Callas du Théâtre ?- mais la placardisait néanmoins dans les confins du Festival, en Courtine…

Et donc Tiago, Tiago a osé, lui. Tienes los cojones, hombre !. Bravo. S’il ne fallait retenir qu’une image de cette 78e édition de ce Festival, ce serait celle-ci : Angélica Liddell dans la Cour. Merci Gracias Tiago, pour l’avoir fait. Mais merci aussi pour cette programmation tout entière qui enfin renoue avec le courage, les cojones, la passion et l’amour du théâtre, du vrai, qui réconcilie aussi avec le passé fabuleux de ce Festival et notamment la décennie de Vincent et Hortense qui ont su tellement l’ouvrir au monde. Le réinventer. Merci Tiago, une nouvelle fois.

Merci également d’inviter des « figuras » telles que Warlikowski, étoile noire s’il en est, torturée et complexe, qui produit un théâtre hors-norme, lui aussi, mais qui en en a, lui aussi. Un type pas facile, dont la dernière apparition au Festival fut justement le fait d’une invitation d’Hortense et Vincent. C’était en 2013, pour le « Cabaret Varsovie » à la FabricA, tout un programme, déjà… Il nous revient -enfin- avec un « Elisabeth Costello, 7 leçons et 5 contes moraux » inspiré du Sud-africain Coetzee, accessoirement prix Nobel de littérature en 2003, un « débat théâtral » qui va creuser le sens et les formes du théâtre dans un truc à la Warlikowski, c’est à dire redoutable d’intelligence et de perversité poétique…

Et sinon ?

Sinon, on retiendra le programme Danse, cette année enfin solide et conséquent, avec en guest Boris Charmatz qui en tant qu’artiste « complice » -nouveau concept se substituant au fameux « artiste associé » de la décennie Baudriller-Archambault- est comme à la maison. Charmatz, actuel directeur du Tanztheater Wupertal Pina Bausch, ici en grand manitou de la chorégraphie contemporaine présent avec trois oeuvres dont « Forever » en hommage au célèbre « Café Muller » de son égérie Pina Bausch dont il a charge d’héritage et de transmission… C’est pas rien, on en conviendra… Mais on n’oubliera certainement pas non plus d’aller déguster La Ribo ou Noé Soulier, autres indispensables…

Chapitre Théâtre, outre évidemment les incontournables « Dämon » d’Angélica Liddell et « Elisabeth Costello » de Warlikowsky précités, on flêchera à coup sûr le « Lacrima » de Caroline Guiela NguyenTiago Rodrigues lui-même qui donnera son « Hécube, Pas Hécube » à la Carrière de Boulbon, « Mothers » de la Polonaise Marta Gornicka dans la Cour, mais aussi les propositions de Baptiste Amann, Fanny de Chaillé ou encore Mohamed El Khatib et Lorraine De Sagazan… Un petit regret néanmoins : que Tiago Rodrigues ait définitivement renonçé au feuilleton théâtral qui faisait le sel du Festival avant lui, une des rares bonnes idées d’Olivier Py. Dommage, c’étaient de bons moments ouverts à tous, à déguster sous les platanes de Ceccano.

Tiago Rodrigues a fait focus cette année sur les scènes hispanophones. En conséquence, pas mal d’invités de cette galaxie singulière, féconde en oeuvres et artistes à découvrir, comme la Péruvienne Chela de Ferrari, l’Argentine Lola Arias, l’Urugayenne Tamaras Cubas

Surtout, on n’oubliera pas de faire honneur aux 3 séries pluridisciplinaires des « Vive le Sujet !« , indispensables pour qui veut y pêcher quelques petites perles et qui sait futures étoiles…

Une bien belle édition qui s’annonce, en tout cas sur le papier, équilibrée mais défricheuse, contemporaine mais sans excès (ce qu’on pourrait regretter, d’ailleurs…), dont il conviendra de savourer tous les instants et ne pas hésiter à se laisser surprendre. Suspendre ?

Marc Roudier

https://festival-avignon.com/fr/edition-2024/programmation/par-categorie?cat=1001

Angélica Liddell : DÄMON El funeral de Bergman, Cour d’Honneur du Palais des Papes, les 29 juin, 1,2,3,4 et 5 juillet 2024 à 22h. Durée : 2h.

Image: DÄMON El funeral de Bergman, Angélica Liddell © Angélica Liddell

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