« MAZUT », OTNI LIBERATEUR

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Mazut – Cie Baro d’Evel – Théâtre des Bouffes du Nord Paris – du 22 mai au 2 juin 2024.

Clowns ? Acrobates ? Musiciens ? Humoristes ? Qui sont ces deux artistes ? Dans quel registre se déploie le répertoire de la compagnie Baro d’Evel ? Ils sont tout à la fois, dans un mélange de genres fascinant. La compagnie est invitée cette année au Festival d’Avignon IN. Alors la reprise aux Bouffes du Nord de Mazut, l’un de leurs premiers spectacles, est l’occasion de découvrir leur univers. Si la note d’intention promet de « libérer l’animal intérieur qui est en chacun », le spectacle lui-même est une succession de situations délirantes. Les tableaux sont superbes, les rires fusent, la musique a capella résonne magnifiquement, l’attention du spectateur est sans cesse sollicitée, bondissant de surprise en surprises. Mazut est un « Objet Théâtral Non Identifié » et aussi nécessaire, une échappée belle dans un monde de gestes fous qui libèrent.

Deux bureaux, une vague signalisation. Le décor est minimaliste. « Bienvenue à la corporation Mazut ». Un homme prend place après avoir revêtu une tête de cheval, s’essayant bizarrement à cette nouvelle identité. Une femme arrive, visage fermé, rouge à lèvre impeccable, talons hauts. Nous sommes dans le monde de l’entreprise où l’on « travaille », même si les tâches se réduisent à ranger des cartes imaginaires et à faire de drôles de photocopies.

Quel humour ! La parodie est clownesque, la relation entre les deux collaborateurs est étrange. Ils se cherchent sans se trouver, essaient de se positionner l’un par rapport à l’autre. Leurs tentatives de rapprochement sont maladroites. Le discours sur la direction commune, que l’homme finit par proférer, épouse la novlangue des entreprises performantes, et marque une rupture : elle ira chercher « en dessous » quand il sera « au-dessus ». Le comique vient de l’absurde plaqué sur ces situations d’entreprise. Il est renforcé par les mimiques de chacun, le côté pince sans rire de la femme avec sa moustache à la Hitler, tandis que l’homme affiche une bonhommie plutôt bienveillante. Progressivement, la situation dégénère dans un monde parallèle.

Quelle inventivité ! Les gouttes d’eau qui tombe du plafond dans des pots en métal judicieusement positionnés par les personnages composent une symphonie, le papier devient sculpture et montagne, l’impression par encre descendante est étonnante. La tête de cheval blanche habille bien des situations et contribue amplement à ce voyage imaginaire. Quels talents ! L’homme danse le flamenco, se lance dans d’ambitieux portés, la femme enchaine des acrobaties de chutes fascinantes, elle chante aussi merveilleusement. Ces artistes multi-facettes sont formidables.

Quand les deux protagonistes se retrouvent pour le final, se prennent dans les bras avoir s’être tellement cherchés l’un l’autre, une vraie libération s’opère, l’entreprise est très loin, le cheval intérieur tout près. La compagnie Baro d’Evel créée par Camille Decourtye et Blaï Mateau Trias recherche un « art total », la transmission de cette pièce à Valentine Cortese et Julien Cassier est un grand succès. Un merveilleux voyage à s’offrir sans hésiter.

Emmanuelle Picard

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