
Le conte des contes – Omar Porras – Théâtre des Amandiers Nanterre – 16 mai au 1er juin 2024.
Le metteur en scène colombien Omar Porras revient pour célébrer les trente ans de son Teatro Malandro avec un spectacle haut en couleurs. Mêlant théâtre et chant, irrévérencieux à souhait, drôle et cruel, ce Conte des Contes s’inspire d’un ouvrage du XVIe siècle écrit en dialecte napolitain par Giambattista Basile. Les frères Grimm et Charles Perrault ont également puisé dans cette source. Dans ces récits initiatiques revisités, les fées ont disparu, laissant place à la dureté du monde contemporain. La mise en scène est somptueuse, avec des maquillages appuyés, des costumes extravagants, des paillettes et des décors grandioses. Quant au fond, le rire n’est jamais gratuit, et la chute des histoires surprend toujours. Ce spectacle brillant et terrifiant à la fois est un véritable bijou.
Près de Nonola, dans un vieux château, le roi et la reine désespèrent de voir leur fils sortir de sa mélancolie. Ils font appel à un docteur qui prescrit alors à la famille de raconter de histoires au jeune Prince… Le conte des contes est donc une suite de contes insérés dans un récit-cadre, à la manière des Mille et une nuits.
Comment installe-t-on une ambiance ? Obscurité, grand cadre de porte, bruits de pas qui prennent leur temps et qui résonnent majestueusement. Il n’en faut pas beaucoup plus pour capter l’attention et susciter l’attente. Ce Château pourrait bien être celui de Dracula ou de la famille Adams, au vu de l’accoutrement et des mimiques du conteur. Un somptueux diner s’invite sur une table majestueuse, les cuisines sont tout aussi magnifiques. Le moindre détail est ajusté, des lampadaires descendants au costume poilu du roi qui a des airs de Bête, dans la Belle et la Bête. Plus tard, des justaucorps à plumes dignes des plus grands cabarets viendront clore la pièce sous une pluie d’or et de confettis. Les images sont cadrées, les décors et les costumes sont splendides, et la musique d’ambiance parachève le tout. Piano, contrebasse, chants s’invitent sur scène, portés par des artistes aux multiples talents.
Tout est stylisé, le naturel n’est pas de mise. Le comique se fait par l’outrance, le trop plein (le diner initial avec louve, intestins et cervelle est particulièrement « gore »). Gestes et mimiques sont appuyés. La distanciation par l’exagération et la gestuelle mécanique sont entretenues par le conteur et les chants. Elles sont d’autant plus nécessaires que les situations rapportées sont parfois cruelles et sanguinolentes.
Sous des dehors de plumes et de paillettes, les récits adaptés par Omar Porras n’ont rien de féérique : la violence du passage à l’âge adulte s’exprime partout, y compris chez la jeune femme qui se transforme en loup pour dévorer sa belle-famille. La mélancolie de l’ado est entretenue par l’image pitoyable donnée par les adultes et le désastre écologique à venir, le roi qui réveille La belle au bois dormant est un violeur. Les mains coupées de Peau d’âne sont terrifiantes. Se dessine alors une forme d’émancipation, de libération des contraintes pour se frayer son chemin dans un monde difficile.
Omar Porras est un maître de l’image, du rire et du jeu. Son conte des contes est bien plus grave qu’il n’y parait, la légèreté de façade habille un monde cruel et difficile, où il est bien difficile de tracer sa route. Une vision finalement bien plus réaliste que celles des frères Grimm ou de Charles Perrault.
Emmanuelle Picard
Photo Lauren Pasche