« OUI », L’INSOUTENABLE SOLITUDE DE L’ÊTRE

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Oui – mes Claude Duparfait et Célie Pauthe – a été donné au Théâtre de l’Odéon Paris, du 24 mai au 15 juin 2024.

« Oui, c’est un beau titre non ? » La conclusion de la pièce, comme du livre éponyme de Thomas Bernhard sont déroutants. Oui est un spectacle du dénuement, une réflexion personnelle exigeante, sans fard ni détour, sur le mal de vivre du narrateur et la possibilité d’un sauvetage par un autre être vivant. La narration est longue, la langue ardue, il faut s’accrocher pour suivre l’acteur Claude Duparfait dans les méandres de la réflexion de l’auteur. Le récit rebondit et nous renvoie face à nous même : Quelle place laisser à l’autre ? à soi-même ? L’introspection est dure, impitoyable, d’une vérité tranchante. Une expérience singulière à tenter.

Au début du récit, le narrateur se rend chez son ami Morritz pour échapper à la folie entretenue par sa solitude. Il n’arrive plus à apprécier la philosophie Schopenhauer, la musique de Schuman, ni à travailler sur sa recherche. Chez Morritz, il rencontre un Suisse et sa compagne persane fraichement débarqués au village. L’étrangère va le sortir de son désarroi…

Une chaise, un sac, et c’est tout. Claude Duparfait fait face au public dans une configuration minimaliste. Plus tard, la forêt de mélèzes s’invitera sur grand écran, avec un film donnant la parole à ses souvenirs et à la persane. L’ensemble reste très sobre, tout est dans le texte et dans la diction particulière de l’acteur, qui co-signe la mise en scène avec Célie Pauthe. Il y a une affinité évidente entre le texte et son interprète, une identification visible qui invite à le suivre, quelle que soit la complexité des phrases et de la langue.

Les réflexions de Thomas Bernhard sont tranchantes. Elles affrontent la vérité en face : le racisme ambiant du village, les tendances autodestructrices, la folie dont le narrateur cherche à s’échapper, d’abord chez son ami Morritz puis auprès de la persane. La solitude apparait aussi désirable qu’insupportable. Les remèdes de l’esprit, comme Schopenhauer ou Schuman, retrouvent leur efficacité avec la présence de l’autre. La nature aussi offre une consolation, les promenades dans la forêt de mélèzes apaisent dans un premier temps. La persane sauve le narrateur en partageant avec lui la même sensibilité à la philosophie et à la musique. Et puis tout bascule. Pourquoi ? Est-ce que l’autre perd en altérité quand il se révèle trop semblable à soi-même ? Est-ce que l’autre suscite un dégoût, une répulsion quand il est trop proche ? Le revirement est étonnant et saisissant, la question reste entière, dérangeante, posée à chacun. Que cherche-t-on chez l’autre ? Que lui prend-on ? Que lui donne-t-on ?

Oui est un texte puissant, dérangeant, exigeant. Célie Pauthe et Claude Duparfait le portent avec conviction dans une version théâtrale resserrée fascinante à découvrir.

Emmanuelle Picard

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