
78e FESTIVAL D’AVIGNON. Quichotte – D’après Miguel de Cervantes – Adaptation et mise en scène : Gwenaël Morin – Jardin de la rue de Mons, Maison Jean Vilar – Les 1, 2, 3, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19 et 20 juillet à 22h.
La nuit tombe sur le petit jardin de la Rue de Mons, ce havre de paix inattendu au cœur d’Avignon, une sorte d’écrin de verdure enserré de hautes murailles, un lieu propice à la réflexion ou à tous les excès. Seules quelques rumeurs lointaines nous rappellent que nous sommes au cœur du Festival d’Avignon et que le théâtre va faire son œuvre. Sur un sol terreux, sec, traînent quelques objets hétéroclites. Un immense panneau recouvert d’une multitude de feuilles soigneusement collées nous propose la lecture du célèbre texte de Miguel de Cervantes, ce monument de la littérature mondiale, et nous rappelle le gigantisme de l’œuvre. Nous devinons que Gwenaël Morin et que l’étonnante Jeanne Balibar, qui vient toujours là où on ne l’attend pas, vont nous en livrer une synthèse et une interprétation très personnelles.
Le spectacle commence calmement par une lecture presque ronronnante de la comédienne Marie-Noëlle qui nous dit quel était cet hidalgo imbu de littérature chevaleresque. Notre attention, charmée par ce texte poétique, est brutalement interrompue par un tourbillon qui déboule sur scène, ou plutôt sur ce sol aride et poussiéreux, et qui s’acharne à coups de marteaux sur quelques vieilles planches. C’est sans doute notre fier hidalgo, incarné par Jeanne Balibar en robe légère, menue et gracile mais bien présente, qui doit forger et fourbir ses armes de chevalier.
En effet c’est bien Don Quichotte de la Manche, ce chevalier errant redresseur de torts à la recherche de la gloire qui se dresse devant nous, harnaché d’un plastron et d’un bouclier en carton, d’une lance en liteaux rafistolée et d’une boite d’emballage percée en guise de heaume. A partir de là la ton est donné et Jeanne Balibar s’en donne à cœur joie, comme une visionnaire qui vit dans son monde imaginaire, prête à tous les excès pour défendre la vertu, la justice et conquérir la gloire. Les auberges deviennent châteaux, les prostituées princesses et les spectateurs agitant leurs bras tels des moulins à vent ne sont autres que des géants qu’il faut combattre. Elle combat, déclame, git dans la poussière, vaincue, mais renaît avec plus de vigueur encore, investit les gradins et sollicite les spectateurs.
Marie-Noëlle, en récitante, s’évertue à conserver le fil de l’histoire, s’adresse en catimini aux spectateurs comme pour demander pardon des délires et facéties du héros qu’elle regarde, incrédule, avec compassion.
Pour compléter ce trio, c’est Thierry Dupont qui incarne l’inévitable Sancho Panza, ce fidèle écuyer qui s’efforce avec beaucoup de bonne volonté de suivre son maître, de comprendre ce monde imaginaire qui lui échappe et apporte ces petites touches d’humour qui accompagnent tout le spectacle. Le voir gentiment encourager et traîner une table en plastique sur le sol, ersatz d’un âne récalcitrant, est particulièrement jouissif.
Dans ce spectacle déjanté, libre et poétique, Gwenaël Morin nous offre du théâtre brut, rien que du théâtre, celui qui ouvre les portes à toutes les imaginations, à tous les excès. Les spectateurs quittent ce jardin de toutes les utopies un peu décontenancés mais conquis. Il restera longtemps dans nos mémoires le visage émacié et les yeux perçants de Jeanne Balibar dont le regard profond porte plus loin, vers un monde de l’imaginaire, vers un idéal de pureté et de justice.
Jean-Louis Blanc
Photo C. Raynaud De Lage / Festival d’Avignon