AURILLAC : JEAN-NOËL MISTRAL, OU COMMENT JE SUIS TOMBEE AMOUREUSE DE SPECTRALEX

Retour sur le Festival d’Aurillac, pastille Turbo Love – Août 2024 : Spectralex, Jean-Noël Mistral.

Jean-Noël Mistral, c’est l’essence même du comique, c’est à hurler de rire, c’est à en perdre les dents. Avec mon ex, on avait découvert cet artiste à Aurillac et mon ex pleurait en continu tellement il riait. Moi qui croyais que ce spectacle allait faire remonter des souvenirs douloureux, ce fut tout le contraire. Jean-Noël Mistral m’a fait rire à m’en faire sauter le cerveau.

Selon Bergson, le rire naît lorsqu’une mécanique s’enroue, que quelque chose glisse sur une banane. C’est à partir de ces codes les plus fondamentaux, éminemment clownesques, que Spectralex construit son personnage. Maladroit, empoté, petite calvitie, accent du sud, un peu timide mais très lucide, il est conscient de porter à rire et incorpore donc à sa performance les gens en train de s’étrangler. Lorsqu’il rigole, courbé sur sa table, caché sous son parasol, c’est parce qu’on rigole, et alors ça nous fait encore plus rigoler. “Je fais un stage demain matin donc normalement je devrais passer au cran d’au-dessus, si vous voulez revenir” nous dit-il à la fin avec toute l’humilité malicieuse qui le caractérise. D’une grande agilité, il se montre capable de rebondir sur tous les évènements – des rires qui s’étranglent aux bruits dans la rue – et l’on ne cesse de s’émerveiller de ses envolées improvisées.

Pourtant, au premier abord, le spectacle semble assez peu porté sur l’improvisation : Jean-Noël Mistral est un poète du sud inconnu au bataillon, invité à donner lecture de ses écrits poétiques devant notre assemblée. La pizza et le tabouret, Ainsi parlait Zarathoustra, La chèvre maudite, Je t’aime, etc etc. L’ordre varie, certains poèmes sont traduits en pantomime, mais dans l’ensemble de 2022 à 2024, les rimes n’ont pas changé d’une ride. Pourtant, à chaque lecture, Jean-Noël Mistral, comédien de talent, parvient à donner l’impression de déchiffrer les poèmes, comme s’il était en CP. Il s’affranchit du texte tout en gardant le nez dedans. La prose qu’il décrypte – en tentant parfois de trouver le ton cérémonieux propre à la littérature, ce qui ajoute encore du comique – montre des accents frottement surréalistes. On est entre le théâtre romantique et le théâtre de l’absurde, à la croisée des phrases d’un Victor Hugo, d’un Boris Vian, d’un Jacques Prévert et d’un Charles Bukowski. Rapidement, on se retrouve frappés par l’ambivalence de ce qu’il nous propose : des images poétiques très fortes, teintées d’une grande idiotie. Le Plume de Michaux, autant que le Prince Mychkine de Dostoïevski ne sont pas si loin. Eric et Ramzy non plus. La parodie a ici choisi de taire son nom et c’est ce qui donne encore plus de force au comique.

“J’ai retrouvé le bracelet d’éponge que je t’avais offert le troisième jour de notre relation. […] J’ai pensé à ton sein, posé sur la table, qui furète entre la salière et la poivrière. […] Tu baignais dans le sommeil, détendue comme un coude.” Spectralex : un artiste à découvrir absolument avant la fin du festival, sous le soleil, à côté d’une cigale d’Avignon. Et si vous n’aimez pas le spectacle vivant, sachez qu’il pratique également l’acupuncture à l’agrafeuse murale.

Célia Jaillet

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