
Jamais, Toujours, Parfois – de l’Australienne Kendall Feaver, – mise en scène par Magali Pinglaut, assistée de Sarah Lefèvre – au Théâtre de Poche à Bruxelles, jusqu’au 27 septembre 2024 et du 9 au 18/10/24 au Théâtre Jean Vilar à Ottignies-Louvain-La-neuve.
Anna, 18 ans, vit seule avec sa mère, Renée. D’humeur instable, oscillant entre joie et tristesse, elle est révoltée : « Les gens ne te voient plus comme une personne, ils te voient comme une espèce de chose, une chose à gérer ou ou ou à fuir ou…, voilà pourquoi je ne veux parler à personne ! ». Elle crache son désespoir, sa souffrance : « Faut-il mourir pour que cela se voit ? ». Depuis l’âge de 8 ans, on la bourre de médicaments pour des troubles psychiatriques, et, elle n’en veut plus. Ne plus en prendre, signifie qu’elle peut reprendre l’écriture. C’est qu’Anna a un énorme potentiel, elle est terriblement douée pour écrire. Des cahiers entiers d’histoires incroyables et perturbantes sorties de son imagination d’enfant : « La maladie ne sait pas écrire, maman. La maladie n’a pas d’imagination ». Tristesse, colère, méfiance, excitation, introversion ou son contraire, solitude… l’intensité de la perception d’Anna devient telle qu’elle perturbe ses activités quotidiennes, sa relation aux autres. Terriblement déséquilibrant pour la mère, nourrie par un sentiment de désespoir, d’impuissance et de culpabilité, jonglant avec les mots, parfois avec maladresse et beaucoup d’amour. Un lien fort lie Anna à Vivienne, sa pédopsychiatre, dont le diagnostic médicamenteux, entre autre, évolue au fil des ans. Quelle sera l’issue de cette étape majeure dans la vie d’Anna ? Oserez-vous prendre parti ?
« Un drame, drôle, et profond » (Magali Pinglaut)
Avec une énergie électrisante et une profonde sensibilité, la mise en scène de la talentueuse Magali Pinglaut impacte sans aucun doute les esprits. Racontée avec une touche d’humour et de poésie, l’histoire trouble profondément et questionne indéniablement, semant le doute dans nos pensées. Le décor minimaliste (sombre, 4 chaises, une table) contribue à plonger le spectateur dans les méandres de la psyché de chaque personnage, rendant notre observation plus aigüe. Le public est attentif aux déplacements sur la scène, à la gestuelle, à la manière dont les émotions sont véhiculées. La tonalité des voix, l’expression des visages pénètrent profondément nos sentiments, nous émeut, nous perturbe, nous choque, nous plonge dans le doute, dans la compassion… et nous fait rire aussi.
Tout se joue dans le détail : la face à face entre Anna et Vivienne, la pédopsychiatre, assises sur des chaises ; la mère, Renée, et la fille attablées dans la cuisine ; Anna et son « mec », Oliver, traversés de sentiments complexes; Renée et Vivienne se défiant, cherchant à comprendre le sens de ce « Jamais, toujours, parfois » correspondant aux options de choix du questionnaire psychiatrique servant à diagnostiquer les troubles mentaux ; aux conséquences. Et surtout, les questions qui hantent : Comment prendre soin de l’autre et de soi ? Comment se déculpabiliser ? Comment protéger une jeune adulte en grande difficulté, anéantie par une lourde médication, en proie à l’anxiété ? Comment se préserver et que faire pour être rassuré ?
Les 3 comédiennes et le comédien : un quatuor exceptionnel ! Avec ce premier rôle au théâtre, Capucine Duchamp crève littéralement la scène tant elle est bluffante dans le rôle d’Anna. Elle incarne le personnage criant de vérité et on y croit. Anne-Claire est époustouflante dans le rôle de la pédopsychiatre, Vivienne. Avec une sensibilité bouleversante, elle tisse une toile invisible entre le fictif et le réel, car, oui, Anne-Claire a vécu dans sa chair, dans la vraie vie, la perte d’une sœur atteinte d’une maladie mentale suite à l’administration d’un vaccin. Un drame qui finit mal, puisque cette jeune sœur n’est, malheureusement, plus. Pour « Jamais, Toujours, Parfois » elle endosse le rôle du médecin alors qu’elle est davantage plus proche de celui de la mère. Être de « l’autre côté de la barrière » est une sorte d’épreuve, confie-t-elle : « Lorsque ma réplique à Anna, que je rabroue sur scène, crée des murmures dans le public -des réflexions que j’entends- j’ai les poils qui se hérissent et mon cœur bat la chamade, car je comprends leur réaction ». Isabelle Paternotte, formidable dans le rôle de la mère. Une scène particulièrement marquante entre Renée et Anna à l’avant de la scène, touche au plus profond de nos êtres. Sigfrid Moncada, plus naturel que jamais, incarnant un Oliver terriblement drôle et attendrissant.
Pour tout vous dire, on est en droit de se poser la question : mais qui est coupable ? Mais, sauriez-vous y répondre, vous ? Public, préparez-vous, les émotions en cascade vont vous prendre aux tripes : amour, colère, rires, choc, combats entre deux générations, maladie mentale, espoir, poésie et liberté, voilà les ingrédients de Jamais, Toujours, Parfois, un spectacle à voir et à revoir absolument ! J’y vais!
Julia Garlito Y Romo
Quatuor : Anne-Claire (Vivienne, la pédopsychiatre), Capucine Duchamp (Anna), Sigfrid Moncada (Oliver) et Isabelle Paternotte (Renée, la mère).
Photo Lara Herbinia