« 4211 KM », UN BESOIN DE TRANSMETTRE SON HISTOIRE

4211 KM – auteure et mise en scène : Aïla Navidi (dramaturge franco-iranienne) –  Au théâtre de Poche à Bruxelles jusqu’au 19 octobre 2024.

« Le théâtre est fait pour raconter des histoires vraies (…). Quand un spectacle raconte une histoire vraie, ce n’est pas seulement un témoignage, c’est aussi une participation à l’histoire ». Aïla Navidi.

Aïla Navidi, une autrice remarquable, une mise en scène époustouflante 

4211 KM est la distance qui sépare Paris de Téhéran. Nous sommes en 1979, Mina et Fereydoun fuient les persécutions du nouvel état islamique de l’Ayatollah Khomeiny. Ils s’installent à Paris et quatre ans plus tard, Mina donne naissance à Yalda. Le déracinement est difficile à vivre dans cette société occidentale où être réfugié politique, exilé, « étranger » n’est pas évident. Bien qu’elle n’ait jamais été en Iran, Yalda à l’impression d’y avoir vécu depuis toujours. En réalité, elle fait partie d’un « monde binaire ». Française ou Iranienne ? En France, mais dans un petit studio où l’on parle le Farsi et l’Azéri, où l’éducation, la gastronomie, la musique, l’ambiance, les fêtes, la musique font partie de la culture iranienne transmise par ses parents. Une famille d’exilés qui se protègent, s’aiment et luttent pour la liberté, qui ont connu la souffrance, mais regarde l’avenir avec le sourire et un immense espoir.

Quelle sera l’issue de cette histoire ? Que traverse Yalda durant son enfance et son adolescence et puis en tant que femme ? Quel est son ressenti, son questionnement ? Que retient-elle de l’enseignement de ses parents ? Vont-ils retrouver leur terre natale? Pour le savoir, rendez-vous au Théâtre de Poche !

« La nécessité de raconter et de laisser une trace, de se dire que le jour où nos parents ne seront plus là, quelque chose va s’effacer » 

C’est la naissance de sa fille qui précipite Aïda Navidi dans le besoin d’écrire ce spectacle : la peur que son nom ne « disparaisse » au moment de l’inscription du bébé au registre de l’Etat Civil français. Se pose alors la question de « l’héritage ». La mort de ses parents allait forcément arriver, qu’allait-elle léguer à son enfant, aux générations futures ? L’urgence de raconter l’histoire devient alors une évidence. L’auteur, née à Paris, grandit dans un petit studio du 13ème arrondissement avec cette idée d’un retour en Iran. Un désir profond encré dans le cœur de ses parents. Une « attente permanente » qui durera jusqu’à la mort. Un père journaliste et une mère professeur de philosophie obligés de s’exiler de leur pays en 1979 pour fuir le nouvel état islamique iranien de l’Ayatollah Ruhollad Khomeiny (leader politico-spirituel). Élu démocratiquement, il est loin de tenir ses promesses d’instaurer un Etat démocratique, il impose un régime basé sur la théorie Velayat-e-Faghih, et toutes les libertés sont supprimées les unes après les autres. Une dictature qui se prolonge dans le temps, l’espoir d’un retour au pays semble s’écrouler comme un jeu de carte pour la famille Navidi, mais pas l’envie de lutter, de se battre pour la liberté, pour ses idéaux. Ce n’est que par bribes que la jeune femme apprend le vécu de sa famille : prison, torture, fuite, réfugiés politiques, même si, à la maison, on parle politique 24h sur 24h, on accueille les autres exilés, la famille.

« On vous apprend toutes les valeurs de la République pour ensuite vous demander de changer de prénom pour obtenir la nationalité française (…) ». « Lorsqu’on vous demande de remplir un formulaire, à l’endroit de la nationalité vous indiquez « française » mais dessous une autre question : « êtes-vous naturalisée ? » (…). À partir de là, quelle est votre chemin ? (…). Trouver son identité propre devient complexe dans un monde binaire ».

Malgré l’envie d’être journaliste, Aïla Navidi, entame des études de commerce (pour rassurer ses parents). Ne « trouvant pas des réponses dans la politique », son « engagement sera dès lors dans l’écriture et la mise en scène » et décide de quitter son emploi. L’artiste engagée, Ariane Mnouchkine, avec son théâtre de solidarité, un travail collectif et politique, touche profondément Navidi qui s’en inspire. À travers 2411KM, « l’idée n’était pas de raconter mon histoire mais une histoire qui me semblait être celle de beaucoup de gens, qu’ils soient iraniens ou non » confie la Navidi.

La musique iranienne, omniprésente dans le spectacle, a bercé toute l’enfance de l’auteure : « La musique permet à ceux qui ne parle pas de pleurer à travers elle ; le chant, de s’exprimer à leur place. L’écouter collectivement leur rappelle des moments importants de leur vie, comme les décès, les exécutions, mais aussi, la joie, les moments heureux. C’est un peu le fil rouge de leur vie ». Aïla Navidi.

Sur scène, 6 comédiens et comédiennes extraordinaires. Ils incarnent les personnages avec beaucoup d’humilité et de justesse. Un décor formidable, enchaînant des tableaux de vie, jonglant avec la chronologie. Des scènes filtrées par un voile à l’arrière-plan, transporte le public en Iran et la dureté de ses prisons. Le chant, le farsi, la musique font partie intégrante de la mise en scène. Le sol, jonché de fragments, révèlera un final poignant. Raffiné, tout en pudeur, à la fois fort et tout en délicatesse, une pointe d’humour, une histoire d’exil et de transmission, de lutte et d’amour, public, préparez-vous à ressentir énormément d’émotion, de beauté, de poésie, mais aussi de révolte.

Impossible de sortir indemne de ce magnifique spectacle : 4211KM, à voir et même à revoir au Théâtre DE POCHE jusqu’au 19 octobre 2024 et partout où il se jouera à nouveau. Un bel hommage est rendu aux victimes dans ce spectacle. Ovation du public.

« Tant qu’il y aura des femmes et des hommes qui luttent pour les droits humains dans leur pays respectif et ce, au péril de leur vie, malgré les tortures, la prison, les répressions, les discriminations, … ils ou elles représenteront un exemple d’espoir, de courage et de volonté pour toutes ceux et celles qui qui poursuivent la lutte pour la liberté ». Aïla Navidi.

J’y vais et j’y retourne.

Julia Garlito Y Romo

Distribution : assistance à la mise en scène : Laetitia Franchetti ; scénographie Caroline Frachet, avec Aïla Navidi et Deniz Türkmen en alternance, June Assal et Lola Blanchard (en alternance), Sylvain Begert, Florian Chauvet, Olivia Pavlou-Graham, Damien Sobieraff.

Laisser un commentaire