« EN ATTENDANT BOJANGLES », AMOUR ET FOLIE

« En attendant Bojangles », d’après le roman d’Olivier Bourdeaut ; adaptation et mise en scène Victoire Berger-Perrin, avec Charlie Dupont, Tania Gabarski et Jérémie Petrus au théâtre Le Public, à Bruxelles, jusqu’au 17/11/24, salle des Voûtes.

Amour et folie contagieuse

Peut-on vivre d’amour et d’eau fraîche, de folie heureuse et de fêtes sans fin ? C’est en tout cas la vie rêvée de Renée ou peut-être est-ce Marguerite, Elsa ou encore Hortense? Peu importe le prénom, elle le change tout le temps, de toute façon, selon celui que Georges, son mari, qui veille sur elle avec amour, décide de lui attribuer, chaque matin, au réveil. Sa rencontre avec elle (belle et solaire), lors d’une fête, est un coup de foudre. Il sait qu’elle n’est pas comme « les autres » mais cette loufoquerie charmante lui plaît, le séduit. Lui-même un grand conteur, s’inventant un personnage suivant les situations. Très vite, ils se marient, organisent des fêtes à tout va, à n’importe quel moment, n’importe quel jour. Achètent une maison en Espagne. Ont un fils qui grandit dans cette ambiance particulière. C’est à travers ses yeux d’enfant que l’histoire est narrée.  Observateur attentif, il porte une admiration sans bornes pour cette mère dont l’amour et la passion sont inépuisables et pour ce père dont l’imagination débordante inspire les innombrables versions de leur vie qu’il consigne, en secret, dans un cahier. Ils sont en total décalage avec la société, se libèrent des contraintes. Le plus important ? Le bonheur, la simplicité et le moment présent. L’enfant voit tout, entend tout, ne comprend pas tout, mais est témoin de l’amour inconditionnel que se portent les parents. Ils dansent tout le temps. Sa mère adore la chanson « Mr Bojangles », de Nina Simone, qu’elle chante souvent, qui booste son énergie, sa fantaisie et qui fait partie intégrante de leur vie ensemble, amoureusement :

I knew a man Bojangles

And he danced for you

In worn out shoes

With silver hair, a ragged shirt and baggy pants

The old soft shoe

He jumped so high, jumped so high

Then he lightly touched down

Et puis, il y a la folie, la vraie, qui s’installe peu à peu dans le mental de la mère. Elle boit beaucoup, fait la fête constamment, s’énerve souvent pour se calmer rapidement, se promène nue perchée sur ses talons, virevolte en dansant dans ses différentes tenues, qu’elle se doit d’accorder à chacun de ses prénoms (sa garde-robe est primordiale), capte l’attention de tous… Les dettes de la famille et la dure réalité vont lui faire perdre la raison… L’asile n’est pas loin… Qu’arrivera-t-il à ce trio attendrissant? Quelles solutions vont-ils trouver pour s’en sortir ? Jusqu’où cet amour fou, dans tous les sens du terme, peut aller ? Quelle sera l’issue de l’histoire ? Pour le savoir, rendez-vous au théâtre Le Public jusqu’au 17 novembre.

Le trio de la famille mis en scène

Victoria Berger-Perrin s’attaque à l’adaptation théâtrale et mise en scène de cette belle histoire et pour se faire elle « pose certains choix » notamment autour des personnages : « ne garder que le trio de la famille, noyau fusionnel et essentiel, en oubliant tous les autres ». Difficile de renoncer aux autres personnages du livre, confie la jeune metteuse en scène, mais elle trouve néanmoins certains « subterfuges » pour qu’ils puissent tout de même être présents à travers la narration du fils (par exemple) interprété par Jérémie Petrus, par le père aussi (‘Charlie Dupont), ou présentés « en creux » sur la scène. La mère, quant à elle, est « l’objet de toutes les attentions » à travers son jeu elle va entraîner le public dans sa douce folie joyeuse et triste à la fois. Une belle prestation de Tania Gabarski qui incarne parfaitement le personnage. Les applaudissements des spectateurs à la fin du spectacle, témoignent du succès du choix de Berger-Perrin.

Charlie Dupont et Tania Gabarski, en couple à la ville comme à la scène, une façon d’avoir « une vie de famille en passant plus de temps ensemble » confient-ils au théâtre Le Public. Une complicité qui se voit sur scène et qui constitue pour eux « une révélation » tant cela « fonctionne bien » et leur permet de « pouvoir travailler plus vite et plus loin ». « Si très peu de vies sont artistiquement et personnellement épanouies dans le paysage théâtral belge », souligne Dupont, l’exemple du couple Michel et Patricia (à la direction du théâtre Le Public) les a inspirés pour faire de même. Il faut croire que ça marche ! Le public ne peut qu’être ravi puisqu’ils n’en sont pas à leur première représentation sur scène, ensemble, avec différents spectacles à succès, on pense notamment à « Les émotifs anonymes » pour ne citer que celui-là.

Pour « En attendant Bojangles » l’écrivain français Olivier Bourdeaut collectionne les prix. À la base il n’avait pas une idée claire de l’histoire, confie-t-il, mais une ambiance, car il venait de quitter Paris pour se retrouver en Espagne. La maison de ses parents. La musique et l’ambiance lui ont servi de « béquille » dans la rédaction des premiers moments du livre, et poser le décor. Une ambiance que l’on retrouve bien dans la mise en scène de Victoire Berger-Perrin, avec l’héroïne dans sa robe de flamenco, la danse et la musique, ou encore, l’accent pris par le mari, l’humour autour de la corrida avec l’oiseau, la grue, Mademoiselle Superfétatoire. Alors qu’il n’avait jamais lu d’histoire d’amour ni même de la folie, Bourdeaut se surprend lui-même de s’être laissé entraîner dans ces deux mondes. « Très vite, les personnages semblent dépassés par leur amour, dit-il, ils donnent une image d’eux-mêmes pour emballer tout ceux qu’ils invitent à des fêtes » et c’est de cela que l’écrivain va se servir pour construire l’histoire. Pareil pour la folie. C’est en relisant son texte, et particulièrement une phrase que disait la mère, que l’idée lui paraît évidente : « En tirant les fils de ses mots, la folie s’impose » poursuit Bourdeaut. « Elle buvait beaucoup, faisait sans cesse la fête, changeait de prénom constamment, on ne peut pas dire que ce soit un signe de stabilité… ».

Véritable succès en librairie, « En attendant Bojangles », est un roman (2016) à lire assurément ; adapté au cinéma, un film à voir absolument, magnifique, réalisé, par Régis Roinsard avec Virginie Efira (extraordinaire), Romain Duris et le jeune Solin Machado-Graner, bluffant.

Une « histoire d’amour qui dérive vers la folie », une touche de poésie et d’humour : « En attendant Bojangles » (un hommage à la chanteuse Nina Simone): Ovation du public. À découvrir dans la salle des voûtes, au Théâtre Le Public à Bruxelles, jusqu’au 17 novembre 2024.

Julia Garlito Y Romo

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