UN « MARIUS » EN MODE JOËL POMMERAT

« Marius » – D’après Pagnol – mes Joël Pommerat – MC93 Bobigny – du 29 novembre au 8 décembre 2024, puis en tournée.

Marius : la liberté ou l’amour, façon hyper réaliste

Les créations de Joël Pommerat se suivent et ne se ressemblent pas. Dans ses opus précédents le metteur en scène privilégiait les décors sobres découpés dans un noir profond. Avec Marius, il se lance dans une reconstitution minutieuse d’une boulangerie café de Marseille. Le spectacle est basé sur une réécriture du texte de Pagnol : les comédiens se sont appropriés les mots et les situations, leur accent est plus vrai que nature. La pièce a vu le jour en milieu carcéral et mélange acteurs professionnels et anciens détenus dans une continuité remarquable. Le dilemme de Marius qui doit choisir entre l’amour et la liberté éclate avec d’autant plus de force que tout semble immuable dans cette boulangerie ultra réaliste. Le poids du temps qui passe est lourd et pesant, parfois trop même pour les spectateurs.

Marius rêve de partir en mer, alors qu’il est coincé dans la boulangerie de son père César. Son amie d’enfance, Fanny, lui avoue son amour et l’emmène vers cette décision capitale : partir vers sa liberté ou rester avec celle qu’il aime.

Il ne manque absolument rien dans le décor de la boulangerie-café : bonbons, tables en formica, pains de toute sorte, percolateur… Le réalisme est saisissant, ainsi que l’accent des comédiens, un accent du sud à couper au couteau. Tout est palpable y compris l’ennui. Les personnages de Pagnol sont là, replacés dans le monde d’aujourd’hui. Fanny est coiffeuse et non marchande de coquillages, le « vieux » Panisse vend des scooters au lieu d’être maître voilier. Scènes adaptées et transposées, mais l’intrigue demeure. Le ton est grave, même dans la partie de cartes qui dégénère. Les pointes d’humour sont vite étouffées par l’ambiance pesante de ce lieu sans avenir où Marius se traine sans envie.

Les oppositions de classe sont fortes, le riche Panisse est d’autant plus odieux qu’il étale son pouvoir et sa puissance dans son téléphone portable. Le monde extérieur, jamais montré, est d’autant plus désirable. Marius semble être dans une vraie prison, et même si son amour pour Fanny ne fait aucun doute, le poids des lieux est écrasant.

Joël Pommerat signe une transposition ultraréaliste, sérieuse et prenante de Marius dans le monde d’aujourd’hui. Contrairement à ses autres pièces, il n’y prend pas de distance avec le sujet et ne vise pas non plus la transcendance. Le dilemme est vécu profondément de l’intérieur. L’approche, qui étonne de la part du metteur en scène, est intéressante, à défaut d’envouter comme d’autres de ses œuvres ont pu le faire.

Emmanuelle Picard

Photo Agathe Pommerat

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