COMMENT POMMERAT REVISITE PAGNOL A SA MANIERE

« Marius » – Adaptation et mise en scène de Joël Pommerat d’après Pagnol – Cie Louis Brouillard – Au Z.E.F scène nationale de Marseille du 10 au 11 Janvier 2025. En tournée.

Il y a toujours quelque chose d’un peu spécial et magique qui se déroule au théâtre quand la vie des comédiens rencontre presque charnellement et intimement une œuvre. Et une fois n’est pas coutume, le talent de Joël Pommerat ne dément pas cette affirmation. Œuvrant depuis plusieurs années au sein de l’atelier théâtral du Centre pénitentiaire d’Arles, le metteur en scène, loin de proposer un simple rendu d’atelier, a offert la possibilité à ces comédiens de monter un véritable spectacle.

S’affranchissant du texte original de Pagnol proposé par l’un des comédiens, Joël Pommerat a imaginé une ingénieuse adaptation dans laquelle tous les marqueurs sont là, ceux si chers à Pagnol mais aussi ceux de ces comédiens amateurs au parcours cabossé.

Tout y est, le Marius amoureux de Fanny et de l’ailleurs, une Fanny plus terre à terre mais tout aussi amoureuse, un César ronchon et truculent, un Panisse tout en malice et rondeur, un Escartefigue tout aussi cocu et un Monsieur Brun terriblement lyonnais. Mais Joël Pommerat, conscient des enjeux et des atouts de ces comédiens, a transposé le tout dans un Marseille actuel où César est maintenant propriétaire d’un petit snack déserté par ses clients, face au salon de coiffure de la mère de Fanny.

Sans jamais trahir Pagnol, cette adaptation intelligente offre un Marseille, peut être celui des quartiers nord, où parfois l’errance sociale cache un besoin d’ailleurs et de découverte du monde pour cette jeunesse enfermée dans ces quartiers laissés à l’abandon. Il est forcément bien difficile pour les spectateurs de ne pas faire le parallèle avec certains de ces comédiens un temps enfermés dans les quatre murs d’une prison, rêvant eux aussi d’ailleurs. Mais là est toute la subtilité de Joël Pommerat qui, ne cachant pas l’origine de la majorité des comédiens de ce spectacle, hormis quelques-uns issus de sa troupe, ne force jamais le trait et ne tombe donc pas dans un pathos qui gâcherait cette œuvre. On y pense, puis on oublie vite les parcours singuliers de ces acteurs, ne reste qu’une troupe présentant un spectacle abouti, drôle et touchant. Ce spectacle n’est pas une nouveauté puisque les débuts du travail d’atelier remontent maintenant à 2015 avec plusieurs représentations depuis lors et dernièrement au Printemps des Comédiens de Montpellier dans ce magnifique domaine d’O.

Mais jouer au ZEF à Marseille dans le 14ème revêt un sacré challenge pour ces comédiens et la troupe de Joël Pommerat car qui de plus emblématique que le public marseillais pour adouber le travail autour de ce texte. Là encore, le metteur en scène surprend de la plus jolie des manières en respectant le rythme comique de Pagnol et l’évidente tragédie qui se noue, tragédie trop souvent oubliée dans cette œuvre maintenant classique. Une belle réussite avec parfois des imperfections de jeu qui collent toutefois parfaitement aux choix d’adaptation et scéniques du metteur en scène.

Quelle belle réussite !

Pierre Salles

Photo Agathe Pommerat

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