« FORT », DE CATHERINE ANNE : LE BIEN NOMMÉ

« Fort » de Catherine Anne – à l’Archipel de Fouesnant. 

Dans la nuit noire, le bus m’a déposé sur la grand route déserte, un petit panneau m’a donné la direction de l’Archipel, cet établissement porte bien son nom c’est une forteresse, avec plusieurs niveaux de salles en plus de sa salle principale de spectacle.

Sa programmation est toujours vraiment intéressante, peut être même la plus sensible du coin, même si en raison du manque de transport elle ne touche principalement qu’un public de retraité ou de scolaires. La buvette même est tenue par un aréopage de dames et messieurs en tenue rayée rouge et bleue de matelots et aux cheveux blancs et gris..

Pour vous dire Fouesnant est à 7 km et demi de Concarneau qui est la troisième ville du Finistère, j’aurais pu y aller en marchant sur le sentier côtier mais c’était beaucoup plus long, j’ai donc été obligée de passer par Quimper puis de retourner à Fouesnant coût de l’opération 45 km, pas vraiment écologique. Pour le retour, le charmant caissier m’a gentiment dégoté une place dans une voiture d’abonnée.

Donc je suis allée voir « FORT » le dernier spectacle de Catherine Anne. Catherine Anne, je la connais depuis des lustres, à l’époque elle était arrivée comme un bolide dans le paysage théâtral parisien en jouant sa toute première pièce, « Une année sans été » au théâtre de la Bastille, inspirée de la vie de Rainer Maria Rilke si j’ai bonne mémoire, en tous cas j’ai encore la vision d’un personnage enroulé dans drap comme on se protège d’une forme de douleur. C’était simple, beau et fort.

Pour « Fort », elle nous transporte en trois quatre mots au sommet d’une colline , il y a un ruisseau, des écrevisses, un père, son fils, une cloche , un clocher, un piano qui brûle et des bombes qui tombent. On pourrait être aussi bien en Bosnie Herzégovine, qu’en Ukraine, dans le haut Karabakh, qu’à Gaza ou au Liban, bien qu’il n’y ait pas de minaret dans la pièce…

Et dans ce beau décor soutenu par des pièces de tissus peints qui figurent la nature ; les cieux, les nuages et si l’on veut vraiment l’eau et les rochers, une nature mouvante vivante qui bouge en même temps que la lumière du jour, elle nous parle de l’art, de l’artiste et de la musique. La musique en elle-même est un personnage, avec sa voix propre.

Il y a pourtant trois personnages sur scène, la pianiste forte femme au regard doux et à la poitrine plantureuse, une sorte de régisseur muet, et le comédien qui lui, parle mais ne jouera pas du piano qu’on a monté jusque là pour que lui, artiste lyrique donne un récital. C’est presque une mise en abyme, puisque le comédien qui est un artiste joue l’artiste qui ne jouera pas… Et là, il se souvient, il raconte, sa peur, ses pertes, ses deuils, sa résilience, sa vocation, il raconte comment la musique l’accompagne, l’amène encore plus loin, vraiment loin de là où il vient, jusqu’à une sorte de solitude.

Catherine Anne sait très bien raconter les histoires, avec une écriture simple, légère, sans fioritures qui va au plus profond, elle ramène le spectateur à ses propres souvenirs d’enfance, avec l’évocation d’un petit bouton d’or « Tu aimes le beurre… ».

Elle sait ce qui se passe lorsque l’artiste arrive encore et encore dans un nouveau lieu qu’il va falloir qu’il apprivoise, les gens auxquels il va falloir vite s’habituer, Catherine Anne est une nomade, une sorte de gitane avec un beau visage fripé et une plume en acier trempé. Elle sait comment l’émotion vous fait passer du rire aux larmes, et peut être sait elle ou imagine t’elle comme nous tous ce que ca fait alors que tout est calme dans la campagne, que le ciel est bleu et que les oiseaux chantent de voir débouler des avions qui lancent des bombes. Peut être sait elle ce que ça fait d’être la seule survivante de l’école de son quartier, de marcher à travers les ruines, de voir sa maison brûler, ou peut être pas c’est égal, mais nous ce soir là à Fouesnant on est passé à travers les obus et les drones dans une nature étincelante de beauté, un univers totalement idyllique et champêtre, où les gens vivaient heureux et simples, avec des gestes profonds et pleins d’amour.

Nous avons ressenti plus fortement encore dans cette salle de Fouesnant que cette chose essentielle, indispensable, qu’est le bonheur, peut être ravagé en une seconde par brutalité, la bestialité, la bêtise de la guerre, mais que l’art et la beauté, la musique, aux pouvoirs reconstructeurs, sont bien plus fort que la mort.

Claire Denieul

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