« LES MARCHANDS D’ETOILES », DEVOIR DE MEMOIRE

Les Marchands d’Étoiles  –  pièce de Anthony Michineau – mise en scène Julien Alluguette – au Centre Culturel d’Auderghem à Bruxelles jusqu’au 19/01/2025 et à la Maison de la Culture à Arlon le 25 mars 2025. (Durée 1h30). Plusieurs dates également à Paris, jusque fin juin 2025, au Splendid.

« Une comédie qui bascule dans le drame », une création littéraire basée sur des faits réels.

Paris, juin 1942. La France a basculé dans l’horreur absolue, les dénonciations, les rafles, la déportation, l’extermination sont désormais, monnaie courante. Nous sommes au sous-sol, dans le dépôt de tissus de Raymond Martineau (l’excellent Guillaume Bouchède). C’est le moment de l’inventaire, patron, famille et employés s’affairent à comptabiliser la marchandise. Il ne fait pas bon vivre en cette période de guerre, sous l’occupation nazie. Le bruit de fond des sirènes et des balles perdues, ne laisse aucun répit à la sensation de mal-être, à la peur. Mais la vie poursuit néanmoins son cours dans l’entreprise familiale. Malgré la situation, les affaires ne sont pas mauvaises grâce à la fabrication des étoiles jaunes que les juifs de plus de 6 ans ont désormais l’obligation de porter en public. Elle doit être cousue du côté gauche des vêtements de dessus et placée en évidence. Des rouleaux de tissus de couleur vieil or bien visibles, s’entassent d’ailleurs dans un coin du dépôt (*). Mauvaise conscience ? Les temps sont durs et si ce n’est pas eux, d’autres le feront. Alors, autant survivre le mieux possible…

Mais M. Martineau a beau être le patron, il a bien du mal à se faire respecter de son épouse Yvette (Stéphanie Caillol). Autoritaire, elle mène ce petit monde à la baguette, rabrouant son mari à tout va, bien qu’avec une certaine tendresse. Et que dire de sa fille Paulette (Axelle Dodier) ? Cette dernière, plutôt rebelle, s’insurge contre les Allemands, et n’a pas la langue dans la poche. Par les temps qui courent, c’est plutôt dangereux et Raymond peine à le lui faire comprendre. Car, oui, les murs ont des oreilles et la mort, sibylline, guette ses proies…

Et puis, il y a le jeune Joseph (Julien Crampon), Breton de par son père. Français donc… jusqu’à ce que l’on découvre que sa mère, elle, est juive !

Martineau est inquiet, d’autant plus que, Louis (Anthony Michineau), son plus vieil employé, s’est lié d’amitié avec un collabo de la pire espèce, Marcel (Nicolas Martinez, plus vrai que nature). Marcel fait partie de la police française chargée de veiller à l’application de l’ordonnance concernant le port des étoiles jaunes, mais aussi les arrestations massives des Juifs. Il n’hésite d’ailleurs pas à tirer sur eux à bout portant, sans aucun remord ni culpabilité, après tout, « ce n’est que de la vermine ». Mieux vaut ne pas se mettre à dos l’impitoyable Marcel.

En parlant du loup… le voilà qui tambourine violemment à la porte. La peur au ventre, Louis ouvre la porte, et c’est alors que le collabo entre en scène ! L’ambiance est tendue. Entre les propos de haine du policier français, l’amour qui pointe son nez, rire des uns et cruauté des autres, Raymond, qui semble toujours prendre les choses avec un calme olympien, n’est pas au bout de ses surprises. Que va-t-il se passer ? Joseph sera-t-il découvert ? Que cache Axelle ? Quelle est la vraie personnalité de Louis ? A-t-il le choix ? Et comment réagit Yvette quand la situation s’envenime ? Public, préparez-vous, car, vous n’en sortirez pas indemne.

L’auteur et la mise en scène : « Une pièce sur le devoir de mémoire, sur ce qu’était la France en 1942, avec ses monstruosités, ses traitres et ses dénonciations » précise l’auteur, Anthony Michineau, prix du meilleur auteur contemporain » (?) du off d’Avignon 2023 pour « Les Marchands d’étoiles ». Le devoir de mémoire est plus que jamais d’actualité, en ces temps où la recrudescence des partis d’extrême droite en Europe et ailleurs (dont les États-Unis d’Amérique, avec un Trump nouvellement élu) font froid dans le dos. Un triste sentiment de déjà-vu, mais avec, cette fois-ci, un paysage politique auquel on ne s’attendait pas, ou plus. Comme le souligne Michineau : « Nous avons le devoir, l’obligation, de rappeler qu’il est dangereux de fracturer les peuples, et que la conséquence de cette désunion, dans la première moitié du XXe siècle, a été la montée du nationalisme et les horreurs qui en ont résulté ».

« Des gens comme les autres, au milieu de la seconde guerre mondiale », un drame raconté avec humilité, humanité, beaucoup de sensibilité, d’amour, d’humour, de légèreté, tout en subtilité et émotion. Une intrigue prenante à vous percer le cœur. Pour cette pièce, l’auteur choisit le metteur en scène Julien Alluguette, avec qui il travaille depuis longtemps. « L’humour corrosif, l’humanité du texte et la poésie qui se dégage du titre » touche ce dernier. Un très beau décor, une belle scénographie de Georges Vaupaz, un superbe casting (excellent Guillaume Bouchède dans le rôle de Raymond, très naturel Antony Michineau dans celui de Louis) et le tour est joué : « Les Marchands d’étoiles », une pièce à voir absolument, un roman à lire assurément.

Basé sur des faits réels, Anthony Michineau s’est inspiré d’un combattant de la résistance juive hollandaise : M. Henk van Gelderen, ainsi que des faits historiques concernant deux entreprises parisiennes ayant fabriqué les étoiles juives : « Barbet-Massin-popelin et Cie (fabrique de tissu) et de l’« Imprimerie Charles Wauters et Fils ».

L’occupation sous les nazis, une horreur indéfinissable durant la Seconde Guerre Mondiale. Peut-on facilement juger les attitudes des uns et des autres lorsque la lutte pour la survie est le but principal et l’espoir, telle une flamme d’allumette, prête à s’éteindre à tout moment ? Peut-on pardonner aux bourreaux ? « Doit-on sauver une vie au péril de la sienne ou céder face au chantage ? » questionne Vaupaz. « De quel côté doit-on se placer ? » poursuit-il : « Il est bon de se rappeler que le régime de Vichy n’est pas si lointain et que malheureusement l’actualité porte en germes la possibilité d’un retour de ce genres d’évènements » souligne encore le metteur en scène.

« Quand le monde bascule dans une tragédie, un génocide, des personnes collaborent, d’autres résistent, et puis, il a tous les autres ». Et vous ? Qu’auriez-vous fait ? Que ferez-vous ?

« Il n’y aura jamais assez de pièces, livres, peintures, films, opéras pour dénoncer et prévenir des peuples du danger du nationalisme, ou du populisme radical. Alors, on raconte des histoires pour mémoire ». Anthony Michineau.

J’y vais !

Julia Garlito Y Romo

Distribution : avec Anthony Michineau, Guillaume Bouchède, Stéphanie Caillol, Nicolas Martinez, Axelle Dodier et Julien Crampon

(*) La couleur jaune vient de celle de la rouelle, étoffe imposée aux juifs, comme signe distinctif par le concile de Latran, en 1215, durant la chrétienté médiévale)

Photo Florent Cléret

Laisser un commentaire