
La Reine Rouge, auteure et mise en scène : Valériane De Maerteleire, avec Jo Deseure (1), au théâtre Royal Du Parc à Bruxelles, jusqu’au 22 février 2025, du mardi au samedi à 20h15, dimanche à 15h, samedi 22 février à 15h, relâche le lundi. Spectacle à partir de 13 ans.
Entre histoire et fiction : La Reine Élisabeth, dites la « Reine Rouge »
Mars 1958. Assise dans son atelier du Château du Stuyvenberg, la Reine Élisabeth de Belgique, passionnée de sculpture, plonge ses mains dans la boue pour réaliser un nouveau buste, pendant que Bruxelles s’affaire aux préparations de l’Exposition universelle dont l’ouverture est pour bientôt. Depuis sa véranda, la Reine s’irrite de voir s’élever au fur et à mesure le squelette de ce qui va devenir l’Atomium. « Tout le monde pourra la voir depuis cette hauteur, elle n’aura plus d’intimité, c’est inadmissible » ! Et elle le fait savoir ! Il n’y a d’ailleurs pas que cela qui l’irrite, elle sent bien que depuis le Palais de Laeken, on s’évertue à contrôler ses fait et gestes et ce, à travers la présence à ses côtés de sa dame de compagnie et de son secrétaire. Et pour cause, en pleine guerre froide, la Reine mère reçoit une invitation à se rendre à Moscou pour assister au concours international Tchaïkovski, au théâtre Bolchoï. De quoi affoler le gouvernement qui tente par tous les moyens de l’en empêcher, allant même jusqu’à un certain chantage de la part du Secrétaire Général de l’OTAN, Paul-Henry Spaak. Même son petit-fils, le jeune Roi Baudoin Ier tente de l’en dissuader. C’est méconnaître Élisabeth, déterminée, fervente lectrice du Drapeau Rouge (2). Elle s’est bien rendue au Congo, elle ira en Russie ! Le programme promet d’ailleurs, d’être réjouissant ! Quelle sera l’issue de cette comédie jubilatoire ? Pour le savoir, rendez-vous au théâtre du Royal du Parc jusqu’au 22 février 2025.
Après « Coiffeuse d’âmes » écrit à quatre mains avec Thierry Debroux, directeur du Théâtre du Parc, voici la nouvelle création de l’autrice belge Valériane de Maerteleire. L’histoire de la Reine Rouge « germe » dans son esprit à partir d’un documentaire sur la Reine Élisabeth de Belgique que les journaux de son époque surnommaient déjà « La Reine Rouge ». Elle entame des recherches, fouille dans les archives et, hop, le projet prend forme. Un travail « passionnant mais colossal » confie l’autrice. Elle y parvient grâce, notamment, à la bourse « grandes scènes » (2021) (3) qui lui a « permis de dégager du temps pour l’écriture et l’immense travail autour, dont les recherches aux archives du Palais Royal ainsi que celles sur le communisme ». C’est d’ailleurs au « fur et à mesure de ses recherches, que l’autrice s’attache à cette Reine et sa vie hors du commun ». Si la pièce est une fiction, précise Valériane, elle n’en est pas moins très documentée et nourrie de faits historiques.
Avec l’histoire de la Reine Élisabeth, méconnue pour beaucoup, Valériane de Maerteleire souhaite « offrir au public une expérience immersive et divertissante » et pour ce, elle imagine les dialogues entre la Reine Élisabeth et des personnages réels, comme Baudoin 1er ou Paul-Henry Spaak, et d’autres fictifs. L’ensemble se déroule dans un espace théâtral qu’elle souhaite « propice à l’exploration des contradictions et des aspirations de la Reine Élisabeth ». Sa vie riche et passionnante. Le résultat est bluffant, drôle, fin, subtil. Un mélange de fait historiques et de fantaisie. Formidable !
La comédienne française, Jo Deseure, est extraordinaire dans le rôle de la Reine Rouge. Elle l’incarne à merveille. Une interprétation « vivante et profonde de ce personnage complexe » comme le souligne l’autrice. Jo Deseure confie avoir adoré le texte lorsqu’il lui a été proposé, et très enthousiaste à l’idée de jouer le rôle de cette Reine dont elle méconnaissait l’histoire : « Une femme qui a su faire entendre sa voix, pleine de curiosité, une artiste, moderne, passionnée, ». On peut dire que son enthousiasme a conquis le public, captivé par sa prestation. Il faut dire que la comédienne est bien entourée, car le casting de choix apporte une touche spéciale et particulière à la pièce. Très remarqué le talentueux Bruno Van Dorslaer dans la peau de Paul-Henry Spaak, Secrétaire Général de l’OTAN (4) ou encore Rémy Thiebaut dans celui du jeune Baudoin. La ressemblance est bluffante. Très drôle Bruno Georis jouant le secrétaire « espion » ou encore Anouchka Vingtier dans celui de la dame de compagnie. Et puis il y a Lola Delcorps, avec ses marionnettes, les deux pies, surprenante, discrète (si l’on peut dire), amusante, allant et venant sur scène, piaillant les ragots de la cour, les vérités gênantes, incarnant la « voix du peuple » dérangeant la Reine jusque dans son sommeil. Une idée de l’autrice on ne peut plus originale ! En effet, ayant constaté que ces oiseaux ne figuraient pas dans le disque enregistré par la Reine (avec l’aide d’un preneur de son) intitulé « Les oiseaux chanteurs de Laeken » et publié en 1952, elle imagine les pies détestées par la Reine jouant un rôle amusant dans la pièce.
Une scénographie de Anne Guilleray, « intimiste et ouvert sur un monde en plein essor » souligne l’autrice. Superbe décor, dont le sonore de Loïc Magotteaux. Spéciale mention à Allan Beurms : ses vidéos créent un décor incroyablement réaliste, avec la construction à l’arrière-plan de l’Atomium, le jardin attenant à l’atelier de la Reine, la pluie, le vent, les feuilles, les arbres et les oiseaux, ou encore la vue de Bruxelles depuis le bureau de Spaak, absolument génial !
Figure historique ayant marqué son époque, Élisabeth, troisième reine des Belges, engagée politiquement et artistiquement, sympathisante communiste, aux convictions profondes et visionnaires, profondément humaniste et pacifiste, une âme d’artiste, aimant les sciences, plaidant la défense du peuple pour une égalité sociale et plus encore. Elle aimait s’entourer du monde intellectuel et scientifique, tel Albert Einstein ou l’homme de lettre Jean Cocteau, pour ne citer qu’eux.
« Entre toutes les choses belles et aimables de cette terre, c’est le chant des oiseaux qui est peut-être la plus émouvante ». Élisabeth. Printemps 1952
Touchant, délicieusement jubilatoire : La Reine Rouge : J’y vais, j’y retourne et j’en parle autour de moi.
Julia Garlito Y Romo
(1) Distribution : Lola Delcorps ; Jo Deseure ; Bruno Georis ; Rémy Thiebaut ; Benoit Van Dorslaer ; Anouchka Vingtier.
(2) Le Drapeau Rouge, journal fondé en 1921 par Joseph Jacquemotte, comme organe du parti communiste de Belgique. Antifasciste et solidaire avec la République espagnole, soutenant les patriotes espagnols qui permirent la constitution des brigades de volontaires belges, le journal traite aussi des luttes populaires. Très actif lors des grandes grèves entre les deux guerres. Durant la deuxième guerre mondiale, le DR était diffusé dans la clandestinité et fut très précieux pour la liaison entre les mouvements des citoyens et armés de la résistance. Durant la « question royale », il se fit interprète des travailleurs s’opposant à la monarchie qui « avait fait preuve de complaisance envers l’occupant nazi ». (…). Le Drapeau Rouge était très populaire parmi les migrants espagnols et autres ayant fui le régime fasciste de leur pays.
(3) Note du Théâtre du Parc (Sarah Florent) : « Afin de favoriser l’égalité des genres dans toutes les formes artistiques », la SACD, Le Théâtre Le Public, le Théâtre de Liège, le Théâtre du Parc, le cabinet de la Ministre de la Culture et des Droits des Femmes de la FWB, ont mis en place une initiative (parmi d’autres) : « celle du lancement d’une bourse dont le but est de mettre les projets d’autrices au-devant de la scène ». « Une proposition personnalisée et à destination exclusivement des autrices, partant du constat que les femmes sont encore trop peu représentées au sein des projets de spectacle de grande distribution ». Il s’agit donc d’une mobilisation pour « susciter, encourager et soutenir les autrices de théâtre dans l’évolution d’un changement des mentalités vers plus d’égalité et d’équité ».
(4) Considéré comme l’un des pères fondateurs de l’Union européenne, plusieurs fois Ministre des gouvernements belges, notamment Ministre des Affaires Étrangères, Paul Henry Spaak fut, entre autre, Secrétaire Général de l’OTAN de de 1957 à 1961. Le bâtiment principal du Parlement européen à Bruxelles porte d’ailleurs son nom.