
« MA L’AMOR MIO NON MUORE » / épilogue (« Mais mon amour ne meurt pas »), par la compagnie italienne de danse Wooshing Machine (1) sur une idée de Alessandro Bernardeschi, chorégraphie, écriture et interprétation de Carlotta Sagna, Alessandro Bernardeschi et Mauro Paccagnella, au Théâtre National de Bruxelles jusqu’au 8 février 2025. Durée du spectacle : 1h.
« La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue est la littérature ». (M.P. qui n’est pas Mauro Paccagnella)
Mis à part des fleurs et quelques plantes artificielles parsemées sur le sol, trois chaises et une petite table, le décor minimaliste entièrement blanc fait place à toute imagination. À l’arrière-plan, un immense écran, blanc lui aussi, comme une continuité, sauf lorsque l’on y projette les extraits d’un film muet de 1913 « Ma l’Amor mio non muore » (2), ou lorsque les trois artistes (géants à l’écran) observent la salle de leur regard profond, intense, intime… « Un pont de la mémoire collective vers la mémoire personnelle ». Leurs ombres en mouvement prennent parfois la place.
Les trois danseurs s’amusent à évoluer sur scène, dans tous les sens au rythme des différentes propositions musicales (3), parfois de silences ou le son de leur voix, des paroles. Les mouvements de leurs corps captivent l’attention des spectateurs, souples, puis distendus, parfois lâches ou revigorés tout dépend du moment, du ressentis, de l’empreinte du temps sur les articulations, sur le mental peut-être aussi, le vécu, la vie, ou pourquoi pas, l’âme… Ils tombent, se relèvent, se traînent, se prennent dans les bras, courent, s’embrassent, se déshabillent, se revêtent à nouveau de fringues trouvées çà et là, peu importe, pourvu que tout soit… amour ! Complicité, solidarité, réflexions, rires, jeux, tendresse, séduction, amitiés, un tout qui devient soutien mutuel lorsque la lassitude effleure l’être … La délicatesse, la sincérité, la fluidité de leurs gestes, tout en beauté, et surtout leurs regards profonds, intenses, beaux, émeuvent, bousculent, font sourire, voire rire. Les corps, eux, racontent une histoire.
Tout doit-il forcément avoir une fin ? Vieillir est-il une fin en soi ou plutôt une continuité ? Le temps passe inexorablement, certes, mais quand bien-même le physique se transforme, mûri, la beauté n’est-elle pas partout, en tout, en nous ? L’amour aussi, celui de son prochain, celui de… l’humanité. Peut-être suffit-il d’y prêter attention… La mort est également présente, le trou noir et l’actualité… une petite touche politique : « un genre d’acte de résistance obligatoire face aux fascismes rampants », excellent ! « Un espace fragmenté qui traite d’amour et d’obscurité ». Quoi de mieux que de l’exprimer au théâtre, par la danse et la parole, une belle et formidable forme de résistance.
Humour, tendresse, légèreté et sérieux aussi, beaucoup de sensibilité, de maîtrise, de conscience de soi et des autres, tout en générosité, réjouissant et profond : avec une petite dose d’improvisation, la création de Mauro, Alessandro et Carlotta laisse au public le choix d’interpréter le spectacle comme il le sent. Un vrai petit bijou.
« Ma l’amore mio non muore » /Épilogue est une « suite naturelle » de la « Trilogie de la Mémoire », notamment du dernier volet de 2022 : « Closing Party (arrivederci e grazie), confient Alessandro Bernardeschi et Mauro Paccagnella. « Une façon d’archiver la Trilogie sans lui offrir l’occasion d’une dernière réplique » poursuit Mauro. La Trilogie « était un hommage à leur 50ème anniversaire et la nouvelle création a lieu pour leur 60 ans ». Un besoin qu’ils ressentent de rebondir vers un titre plus ouvert pour éviter de sombrer vers une forme d’épitaphe… » précisent-ils. Sur scène, ils forment un trio avec la formidable chorégraphe Carlotta Sagna, une amie et complice de longue date des deux artistes, mais pas que. Elle contribue d’ailleurs à l’écriture de ce très beau spectacle. La danse est pour eux « une extension naturelle de la parole ; un langage propre et, à leurs yeux, toujours prioritaire malgré les âges et les égratignures ». Les gestes sont « mûrs » et « mesurés », mais « sans retenue, libérés ». Un « besoin d’étonner ou de plaire », ce qu’ils réussissent haut la main.
« Quitter la scène, mourir sur scène » ou… une ode à la suite, voire à l’infini ? : « Ma l’amore mio non muore » /Épilogue : à découvrir au théâtre National à Bruxelles jusqu’au 8 février 2025.
Julia Garlito Y Romo
Dramaturgie musicale : Alessandro Bernardeschi ; assistant à la chorégraphie : Lisa Gunstone. Vidéo : Stéphane Broc.
(1) La compagnie de danse italienne Wooshing Machine est exilée en Belgique depuis les années 90.
(2) « Ma l’amore mio non muore » est un film muet de Mario Caserini (1913) ayant marqué son époque avec un succès international. L’actrice Lyda Borelli y joue le rôle d’une Diva. Le film est un mélange d’amour et d’espionnage, créé spécialement pour la comédienne (déjà bien célèbre) particulièrement pour la deuxième partie où son univers, le théâtre, est mis en valeur. Le théâtre dans le film, où on la voit sur scène jouer le rôle d’un personnage qui meurt à la fin. Avant le dernier acte elle a pris du poison, elle meurt donc vraiment, par amour pour son amant, le prince, également son ennemi politique, qu’elle ne peut donc pas « avoir à elle ». Ce dernier se rend compte qu’il n’est plus question de fiction, que la belle meure vraiment, se jette sur la scène et elle s’éteint dans ses bras en prononçant ses derniers mots : « Ma il mio amore non muore », promettant ainsi au prince un amour infini.
(3) Liste musicale du spectacle disponible sur Spotify: ma l’amor mio non muore open.spotify.com