
« CHERS PARENTS » de Emmanuel & Armelle Patron, mise en scène Cécile Florin, au Théâtre Royal des Galeries Bruxelles, jusqu’au 13 avril 2025.
Une comédie qui parle d’amour, d’argent et une certaine dose de part d’ombre : « On ne donne rien parce qu’on vous aime », voilà qui est « paradoxal ».
Quoi de mieux comme sujet de discorde que… l’argent ? Ce qui rend cette pièce particulièrement attractive, c’est son côté « paradoxal ». C’est, en effet, cette phrase : « On ne donne rien parce qu’on vous aime. », confient les frère et sœur, Emmanuel & Armelle Patron, que l’envie de créer cette pièce nous est venue. Mais pas uniquement, puisqu’ils s’inspirent de l’amour familial pour l’écriture du texte: « C’est une catharsis pour les gens de voir des enfants basculer comme ça, de voir cette famille qui devient dingue », confient-ils, « ce qui nous fait rire, c’est de voir les gens tomber, c’est le déséquilibre ». C’est cette singularité qui leur a plu, d’où le désir de la développer. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’ils écrivent sur la famille (notamment et surtout pour la télé), c’est précisément parce qu’ils sont frère et sœur qu’ils aiment ça. « Nous appartenons à une famille très unie, où il y a quatre enfants. Cela nous a toujours intéressé d’écrire sur le sujet ». Sur « qu’est-ce qui pouvait mettre en danger ce noyau nucléaire qu’est la famille ? ». L’idée de s’attaquer à une pièce, est une forme de liberté totale de création, leur permettant d’aller plus loin, avec moins de contraintes qu’à la télé : de « placer l’intrigue là où ils veulent ». Une façon de « dénoncer les travers de nos contemporains et de se moquer de nous » avoue la famille Patron.
C’est jubilatoire, certes, mais cela questionne également sur la puissance ou la vérité des sentiments. Quand l’argent s’en mêle, l’ambivalence s’habille à la fois d’amour, de rancœurs et de jalousie !
Un message urgent et inquiétant fait débouler Pierre, Louise et Jules à la maison familiale. Les parents leur ont sommé de les rejoindre sans plus attendre. Or, ils ne sont pas là, c’est la panique ! Que leur est-il arrivé ? Sont-ils à l’hôpital ? Angoissés, les deux frères et la sœur tentent de se soutenir mutuellement, imaginant le pire, se sentant déjà « orphelins ». C’est que ce trio s’adore et « aime profondément ses parents ». Imaginer une vie sans eux ce n’est tout simplement pas envisageable. Plongés dans la pire des spéculations sur la situation, ils vont même jusqu’à élaborer un plan des plus glauques pour abréger leurs « souffrances » …
C’est alors que joyeux comme des pinsons, les géniteurs font leur entrée. Devant la mine dépitée de leur progéniture, ils les rassurent ! La nouvelle qu’ils doivent leur annoncer est difficile, certes, mais tellement merveilleuse ! Ils vont enfin réaliser « leur rêve » de retraités !
Loin d’imaginer que la bombe qu’ils viennent de lancer va exploser littéralement la belle et tendre harmonie de la famille, les parents vont en avoir pour leur…argent ! Finalement, l’annonce de leur mort n’aurait-elle pas été plus digérable ? L’idée s’immisce peu à peu dans l’esprit des enfants…
« Cynisme, férocité, savoureux et réjouissant » un mélange explosif !
Quel est finalement la vraie place de chacun dans la fratrie ? Que doivent réellement les parents à leurs enfants et jusqu’à quand ? Est-ce une question de légitimité d’en vouloir plus ou d’en réclamer le dû ? Les parents n’ont-ils pas droit à leur indépendance ? À donner libre cours à leurs envies sans rendre des comptes à qui que ce soit, même à leurs enfants ? L’impertinence des sentiments est-elle totalement justifiée en toute circonstance ? Jusqu’où peut-on aller par amour ? Est-ce un crime si les principes de « gauche » se voient sérieusement mis en cause par la culpabilité d’aimer l’argent et ses plaisirs ?
Entre joutes verbales, rancœurs, jalousie, reproches et sentiments mêlés, les protagonistes de cette comédie fine, drôle, vive, intelligente et révélatrice ont de quoi surprendre. On rit à des moments parfois extrêmes, c’est à la fois étrange, invraisemblable, et réjouissant. Il est à parier que, d’une manière ou d’une autre, les spectateurs se reconnaitront dans l’une ou l’autre scène. Les personnages révèlent la « part d’ombre qui sommeille en eux », ne s’encombrent d’aucune diplomatie à l’heure de se jeter les vérités au visage et, en même temps, beaucoup de tendresse et de solidarité s’en dégagent.
Une mise en scène franchement très réussie de Cécile Florin. « Quel beau cadeau » confie-elle aux galeries de « pouvoir faire vivre tous ces personnages qui font écho en nous et font inévitablement penser à un proche ou à une connaissance (…) ». « Une analyse cynique de la famille, de l’argent, de l’amour et de la fragilité de l’être humain (…) ».
Clin d’œil à l’excellent décor de Francesco Deleo et son équipe.
Avec Marie-Paule Kumps et Bernard Cogniaux excellents dans le rôle des parents (vrai couple à la ville). Un modèle de parents, complices, solidaires de leur indépendance, assumant leur décision et à la fois très à l’écoute de leur progéniture. Juliette Manneback (Louise), Toussaint Colombani (Pierre, l’aîné) et Hugo Gonzalez (Jules, le cadet) très convaincants. Ils incarnent les enfants avec brio. On y croit sincèrement !
Pour la première fois sur la scène belge : « Chers Parents », une comédie bien plus subtile qu’on ne le pense ! À découvrir au Théâtre Royal des Galeries à Bruxelles jusqu’au 13 avril 2025. Ovation du public.
J’y vais ! Et j’en parle autour de moi.
Julia Garlito Y Romo