
Saint-Exupéry, le commandeur des oiseaux – Benoit Lavigne – Théâtre du Lucernaire Paris – Jusqu’au 24 janvier 2026
Après Kessel, la liberté à tout prix, Franck Desmedt récidive et se glisse dans la peau d’Antoine de Saint-Exupéry pour raconter une vie hors normes. L’équipe est rodée, Mathieu Rannou signe le texte comme pour Kessel. La mise en scène de Benoit Lavigne est sobre, place aux mots et à l’imagination. Franck Desmedt maîtrise parfaitement le rythme du récit. Il ne laisse aucun temps mort, joue même Consuelo, la femme de Saint-Ex, en un clin d’œil. Il embarque le public dans les montagnes argentines, les trains russes, les dunes du Sahara, les gratte-ciels de New York et le ciel de la guerre. Antoine de Saint-Exupéry nous apparait dans toute sa folie rêveuse, sa soif d’aventurier, son amour des étoiles et des mots, en quête d’une vraie spiritualité. Un spectacle inspiré et inspirant.
La scène est petite, habitée par le nez d’un avion. Une toile de fond abstraite, marquée par des traces de nuage suffit à projeter tous les environnements. Franck Desmedt est là en tenue d’aviateur. Il a l’art du récit, le phrasé fluide. Il est habité par le personnage, il est Saint-Ex, et nous offre en même temps de brefs portraits de Consuelo avec un accent espagnol à couper au couteau. Tout est dans le rythme et l’enchainement des séquences. Les lumières permettent de passer habilement du bleu froid des montagnes à la chaleur jaune orangé du désert, ou aux immeubles quadrillés de New York. Qu’est-ce que le théâtre au fond, si ce n’est cette capacité à imaginer, à projeter le public ailleurs à partir de presque rien, des mots et des images ? Nul besoin de réalisme, l’imagination est plus puissante que n’importe quel décor reconstitué.
Au-delà du Petit Prince, connu et reconnu, qui est vraiment Antoine de Saint-Exupéry ? Sa vie est fascinante et pleine de contradictions. Amoureux éperdu de sa femme, il ne cesse de la quitter pour voler et voyager. Camarade grivois, grisé par le compagnonnage des pilotes de l’aéropostale, il est aussi le poète qui cisèle ses phrases, la tête dans les étoiles. Né en 1900, l’écrivain a des fulgurances d’une étonnante modernité : la fascination déçue devant la Russie, le dégoût de l’omniprésence de l’argent aux US, l’inadéquation du langage d’hier pour parler des concepts d’aujourd’hui, les doutes face au matérialisme rampant en Europe qui demeurera même après Hitler. Sa soif de spiritualité grandit sans cesse. Le contexte de sa mort émeut.
Saint-Exupéry, le commandeur des oiseaux, est un récit de vie fidèle d’un personnage hors norme, une incarnation convaincante et bouleversante à ne pas manquer.
Emmanuelle Picard