
FOXFINDER – Texte de Dawn King (traduction Séverine Magois) – mise en scène : Julie-Anne Roth, assistée de Caroline Riego Maidana – jusqu’au 22 novembre au Théâtre De Poche à Bruxelles. Avec l’interprétation en langue des signes pour une soirée exceptionnelle le 13/11/25 – Théâtre ouvert à la communauté sourde et malentendante.
La technique de co-interprétation sourd-entendant : véritable innovation dans le domaine
Avant d’entrer dans le vif du sujet de Foxfinder, soulignons l’excellente initiative proposée par le Théâtre de Poche le 13 novembre dernier. Pour ce spectacle joué lors d’une soirée exceptionnelle, durant toute la représentation sur scène, un interprète entendant est en salle, au premier rang, et interprète en langue des signes belge à destination de l’interprète sourd présent sur le plateau ! Ces dernières (elles sont deux en alternance) signent à leur tour de manière « nuancée/fine » à destination du public sourd présent dans la salle. En « mobilisant leurs compétences complémentaires » (l’un sourd/e, l’autre entendant/e), ils offrent, précise le Théâtre de Poche, « une compréhension plus profonde de l’objet théâtral au public sourd ». Le texte, les images et les émotions deviennent plus « accessibles ». Les interprètes sourdes jouent le jeu, elles sont les personnages de l’histoire. Toutes deux sur scène font réellement partie de la mise en scène de Julie-Anne Roth, ce qui « renforce l’inclusion en valorisant la pleine participation des personnes sourdes » poursuit le Théâtre de Poche, « non seulement pour les spectateurs, mais aussi comme cocréateurs de l’accessibilité ».
Une expérience immersive incroyable que l’on aimerait voir plus souvent sur les scènes de théâtre. Expérience à l’initiative de Céline Fremault d’United in Learning et Nicolas Hanquet de la Faculté de traduction et interprétation Marie-Haps ainsi que le Théâtre de Poche, ensemble avec l’institut Royal pour Sourds et Aveugles et l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles. Une façon très efficace de sensibiliser les publics à l’inclusion dans les arts de la scène en proposant aux centres culturels intéressés par le spectacle « un modèle réplicable dès 2026-2027 ». Une expérience que l’on salue et à laquelle on ne peut qu’adhérer et soutenir à fond. Bravo !
Foxfinder, un drame entre vérité et mensonge
L’Angleterre est en crise. Le dérèglement climatique provoque des catastrophes. Les champs sont inondés, la nourriture devient rare, les enfants meurent, et la peur s’emparent de la terre et des hommes. Les « espèces nuisibles », comme le renard, y sont sans doute pour quelque chose… C’est ce que semblent penser des enquêteurs formés depuis leur plus jeune âge afin de pourchasser cet animal, ennemi juré, prétendument responsable des désastres dans les fermes environnantes. Et gare à qui dit ne jamais avoir vu le rusé renard, car ils seraient accusés de collaborer avec la bête et considérés comme des ennemis jurés de l’humanité !
Judith et Samuel Covey attendent avec angoisse la venue d’un enquêteur chargé de les contrôler. Ils peinent à faire face aux difficultés et n’arrivent pas à atteindre les quotas de production fixés et imposés par le gouvernement. Ils risquent de perdre leur ferme.
L’attente paraît interminable jusqu’à ce qu’enfin le jeune chasseur de renard, William Bloor, se présente à eux. Formaté pour se rôle depuis l’âge de 5 ans, William est un pur fanatique. Il prend sa mission tellement à cœur que ça tourne à l’obsession. Il n’hésite pas à s’immiscer à travers des questions de plus en plus gênantes dans la vie privée du pauvre couple et de leurs voisins, cherchant la moindre faille jusqu’à l’exagération. Jouant même d’une attitude perverse et glauque, semant la zizanie. Que va-t-il advenir de ce couple ? Jusqu’où est capable d’aller cet enquêteur et quels seront les conséquences de cette course aux boucs émissaires ? Est-il possible de se révolter, voire de réagir contre l’injustice, el harcèlement et la violence ?
Une menace imaginaire dans une ambiance paranoïaque : un thriller sur fond de manipulation
Entre vérité et mensonge, ce texte pose des milliers de questions qui ne verrouillent rien au niveau du sens, précise la metteuse en scène. Ce n’est pas un théâtre à message, poursuit-elle, ce sont des pistes pour réfléchir et partager ensemble. En effet, ce récit de fiction de Dawn King dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contrainte de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre, est on ne peut plus réussi dans le sens où il nous rappelle quelque peu ce vers quoi notre société actuelle se dirige dangereusement… Une réflexion qui mérite qu’on s’y attarde de toute urgence. Dans ce thriller, nous dit le théâtre De Poche, Foxfinder « réussit la gageure d’être haletant en même temps qu’il dénonce le fondamentalisme et les extrémismes de tous poils ».
Cela ne vous rappelle rien ? Assez glauque, n’est-ce pas ? Si l’histoire est totalement imaginaire, elle n’est pas sans nous rappeler une certaine actualité… De quoi nous mettre en alerte, mais surtout, de nous pousser à la réflexion, être attentif et faire en sorte de changer les choses, de ne pas se laisser manipuler, de croire et de soutenir les luttes contre les inégalités, les injustices, la pauvreté, le radicalisme, les problèmes climatiques…
Points forts : Un texte excellent ; l’interprétation en langue des signes et l’ouverture vers la communauté sourde. Une expérience formidable et réjouissante que l’on aimerait voir plus souvent.
Points faibles : l’ennui, le jeu des comédiens peu convaincant (mise à part Laure Godisiabois, très naturelle et excellente dans le rôle de la voisine). Pour certaines scènes, on n’y croit pas une seconde, on ne ressent aucune émotion. Le temps paraît trop long.
Au théâtre de Poche jusqu’au 22 novembre 2025. À voir ?… à vous de voir…
Julia Garlito Y Romo